Au bonheur des voix Hamlet » d’Ambroise Thomas 

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A l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Hamlet d’Ambroise Thomas peut déployer toute sa richesse vocale et instrumentale grâce la mise en scène de Cyril Teste, originalement au service de l’œuvre.

A l’opéra, l’essentiel, c’est le chant des interprètes. Un chant qui dit, genre oblige, les passions qui habitent les personnages, les tourments qui sont les leurs, les tragédies qui les emportent inexorablement. La voix en est une première expression, fondamentale. La mise en scène, dans tous ses aspects
-scénographie, mise en place, jeu-, en est une amplification : elle donne à voir ce que l’on entend, elle met en exergue ce qui se joue dans ces relations humaines
-là, elle peut même révéler des sens sous-jacents aux apparences premières. Le problème, on le sait, est que certaines de ces mises en scène ont des ambitions ou prétentions excessives, s’interposant entre l’œuvre et un public qu’elles distraient alors de l’essentiel.

Ce qui ne veut pas dire qu’il faut une reconstitution « réaliste » des indications du livret : pyramide égyptienne pour Aïda ou Château Saint-Ange pour Tosca. La suggestion, un regard décalé, un anachronisme, un procédé technique peuvent également être fidélité aux intentions d’un compositeur dans la mesure où elles les exaltent.

C’est justement ce que réussit Cyril Teste dans celle qu’il a conçue pour le Hamlet d’Ambroise Thomas. Rien de réaliste dans cette approche (sinon quelques scènes de foule). Pas de château d’Elseneur dans un royaume de Danemark pourri. Non, Cyril Teste va même plus loin en nous indiquant encore et encore qu’il nous invite à une représentation et non pas dans un réel reconstitué. Une séquence filmée ouvre chaque acte : on y découvre ainsi un interprète achevant de se préparer et prenant le chemin du plateau accompagné de son habilleuse ; des techniciens interviennent régulièrement sur la scène pour y installer ou y déplacer des éléments de décor. Le plateau est très nu, sinon trois grands portiques et d’immenses tentures qui se déplacent sur des glissières pour devenir support d’images ou cacher l’entrée à venir de nouveaux personnages.

Les séquences filmées ? L’image a son rôle, nécessaire, dans le travail de Cyril Teste : régulièrement, il nous propose des gros plans des visages des protagonistes ou un contre-champ/hors-champ à ce que nous voyons : une façon bienvenue de les saisir à la fois dans le groupe des protagonistes (Hamlet face à sa mère et à Claudius, la représentation théâtrale provocante du Meurtre de Gonzague) et dans leurs émotions personnelles. 

Cette façon de faire nous vaut des moments d’incroyable intensité, ainsi quand, derrière Hamlet qui s’interroge face à nous, une image projetée nous montre la salle de l’opéra et son père, le fantôme de son père, dans son dos. Magnifique façon de donner à voir le poids de la vengeance qui pèse sur les épaules d’Hamlet.

Ce fantôme de père apparaîtra aussi au milieu des spectateurs, les choristes seront dans la salle, immergeant, impliquant, les spectateurs dans la terrible histoire.

Mais le plus souvent, sur un plateau quasi vide, l’interprète-personnage vient se placer face au public, sans rien qui gêne le déploiement de son chant, et donc l’expression de ses sentiments, de ses états d’âme. 

C’est alors que cet Hamlet, qui n’est sans doute pas l’œuvre lyrique la plus définitive, prend une intensité remarquable. Ses héros sont là, face à nous, nous prenant à témoins de ce qu’ils vivent. Ils sont bouleversants.

Leurs interprètes n’ont pas raté la belle opportunité qui leur était offerte. Quel bonheur vocal ! Le Hamlet de Lionel Lhote n’est pas un jeune homme évanescent, il a en effet en lui toute une énergie qui ne demandait qu’à s’exprimer. Quelle douleur, quelles interrogations le déchirent, et comme sa voix, et comme son chant nous atteignent. Jodie Devos s’impose aussi dans son Ophélie, jeune fille guillerette rattrapée par une histoire qui la détruit et la mène au terme fatal de la folie. Jodie Devos, c’est une incroyable maîtrise technique jamais exhibitionniste, qu’elle met au service de son personnage. Et comme elle nous émeut. Le spectre, le fantôme du père d’Hamlet, trouve en Shadi Torbey une incarnation vocale et de présence impressionnante. Nicolas Testé et Béatrice Uria-Monzon sont les meurtriers du père d’Hamlet, violence, colère, menace et peur à la fois. Pierre Derhet trouve en Laërte une nouvelle occasion de faire apprécier la qualité expressive de sa voix. Maxime Melnik (Marcellus/un fossoyeur), Laurent Kubla (Horatio/un fossoyeur) et Patrick Delcour (Polonius) complètent heureusement la distribution. Guillaume Tourniaire « harmonise » ce bonheur des voix à la tête de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, qui nous gratifie aussi de quelques beaux moments solistes… notamment, inédit alors, d’un saxophone.

Stéphane Gilbart

Opéra Royal de Wallonie-Liège, le 26 février 2023 

Crédits photographiques : Photo V. Bianchi – ORW-Liège


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