Opéra
Tosca à Buenos Aires avec Anna Netrebko dans le rôle-titre : « Ecco un’artista ! »

Tosca à Buenos Aires avec Anna Netrebko dans le rôle-titre : « Ecco un’artista ! »

11 December 2022 | PAR La Rédaction

Pour boucler une saison lyrique de très haut niveau – Roberto Alagna, Javier Camarena, Nadine Sierra, Ambrogio Maestri, Jakub Józef Orlinski, Sondra Radvanovsky, Michael Schade, Zeljko Lucic, Anna Netrebko, pour n’en citer qu’eux – le Teatro Colón de Buenos Aires a choisi l’un des opéras les plus populaires au monde : Tosca de Giacomo Puccini. Ajoutons que le rôle-titre était interprété par Netrebko qui faisait ses débuts dans un opéra au Colón. Salle comble et public en délire assurés.

par Marta Huertas de Gebelin

Tosca est, sans nul doute, une des œuvres majeures du répertoire lyrique. Aimée des publics les plus divers, l’œuvre fait partie du « top ten » du classement mondial des opéras les plus joués. Ce n’est pas pour nous étonner, car elle a tous les éléments pour être placée en première ligne du box-office mondial de l’art lyrique : la poignante histoire d’amour entre une célèbre cantatrice et le peintre Cavaradossi dont les convictions républicaines ne faiblissent pas, même face à la torture et à la mort ; un prisonnier politique en fuite – Cesare Angelotti – recherché par la police secrète, et un contexte historique et politique mouvementé : la guerre entre l’armée de la 1re République française et les grandes puissances européennes, pour rétablir la monarchie dans les États pontificaux, qui se solde par le triomphe de Bonaparte à Marengo le 14 juin 1800 et, en parallèle, la sanglante répression de la monarchie de Naples contre les patriotes de l’ex-République romaine.
À partir de ses composantes tirées de la pièce de théâtre de Victorien Sardou, Puccini et ses librettistes Illica et Giacosa, ont construit un récit fictionnel plus ramassé qui conjugue la passion, l’érotisme, la violence, la cruauté, la tromperie et la mort. Une intrigue au rythme quasi cinématographique, centrée sur les trois personnages principaux : Floria Tosca, son amant Mario Cavaradossi et le Baron Scarpia, chef de la police. Un drame plus humain que politique, où l’amour et la jalousie jouent des rôles capitaux qui font avancer l’histoire, mais aussi un univers empreint d’autres passions moins avouables, de désirs exacerbés, d’exercice abusif du pouvoir, où règne l’utilisation politique de la torture physique et psychique comme instrument de coercition et de domination.

Mise en scène, décors et costumes qui perpétuent la tradition

Qu’en est-il de tout cela dans la Tosca que nous avons eu l’occasion de voir au Teatro Colón de Buenos Aires, le 29 novembre dernier ? Il s’agissait de la reprise de la production de Roberto Oswald (célèbre scénographe et directeur de scène argentin décédé en 2013), par son coéquipier, le créateur de costumes Anibal Lápiz. Cette production, qui date de 1993, a été remontée au Colón en 1998, 2003 et 2016, mais aussi à Montevideo (Uruguay) et à La Plata (Argentine).
Responsable des très beaux costumes d’époque de Tosca, Lápiz l’est aussi de la reprise de la mise en scène originelle. Fidèle à la partition, à la tradition et à la conception de l’œuvre d’Oswald, Lápiz reconnaît cependant, dans une interview, y avoir introduit certaines « modifications » et ajoute qu’au-delà des mouvements de scène fondamentaux, il « laisse à l’artiste le soin de s’exprimer » (Ambito.com, 21/11/2022). Pas de grandes trouvailles, en tout cas, dans cette reprise, mais à signaler tout de même des moments de tension et des effets dramatiques très réussis au deuxième acte. Il est vrai que Lápiz comptait là sur deux excellents artistes : la fascinante Anna Netrebko et l’excellent baryton argentin Fabián Veloz.
Pour ce qui est des décors, vues de l’orchestre, les toiles peintes et l’utilisation de la technique du trompe-l’œil et de la « scena per angolo » des deux premiers actes, ainsi que l’imposante statue qui couronne le Castel Sant’Angelo et les structures massives qui évoquent les fortifications du château, peuvent sembler belles, majestueuses, et faire illusion. Mais, depuis une loge du deuxième étage, le mirage s’efface. Dommage ! Ce n’étaient que des scénographies !

Qu’on le veuille ou non, la politique pointe toujours le nez

L’arrière-plan politico-religieux de Tosca a suscité beaucoup d’indignation lors de sa création, bien que, en réalité, Puccini ne se soit pas particulièrement intéressé au contexte politique et historique de son œuvre. Et cette production non plus.
Mais, des fois, qu’on le veuille ou non, la politique nationale ou internationale contemporaine s’immisce dans le microcosme lyrique. C’est bel et bien ce qui est arrivé à l‘occasion de cette Tosca. Et ce, à deux reprises plutôt qu’une.
Faisons tout d’abord un retour en arrière, au mois de décembre 2021. Le Teatro Colón avait prévu, dans sa programmation 2022, dix représentations de l’opéra « Tosca », dirigées par la cheffe Keri-Lynn Wilson, avec Anna Netrebko / Maria Pia Piscitelli / Virginia Tola (Tosca) et Yusif Eyvazov / Marcelo Puente / Enrique Folger (Cavaradossi). Or, fin février 2022, la Russie envahit l’Ukraine et la grande chanteuse russe, soupçonnée d’être proche de Poutine, a tardé à se déclarer contre la guerre. Sa participation dans la saison du Colón semblait alors compromise d’autant que  la cheffe refusait de travailler avec elle, alors même qu’elle a finalement condamné expressément la guerre. Pour remédier à cette délicate situation, on a fait appel, pour les trois représentations extraordinaires avec Netrebko et Eyvazov, au chef italien Michelangelo Mazza qui avait déjà collaboré plusieurs fois avec le couple de chanteurs russes. Il a sauvé la mise.

Toujours la politique, mais cette fois-ci la politique salariale, dans cet autre épisode qui s’est répété, paraît-il, dans toutes les représentations de Tosca. À plusieurs reprises pendant le spectacle, les musiciens de l’Orchestre permanent et des Chœurs du Teatro Colón ont arboré des pancartes réclamant de meilleurs salaires (« Nous sommes l’orchestre le plus mal payé du pays », « Augmentation des salaires ») mais aussi le respect de la « Dignité au travail ». À remarquer que les manifestations de ces musiciens et choristes ont toujours été respectueuses des chanteurs sur scène et du public. Les applaudissements nourris de la salle, qui affichait comble, ont clairement montré que les spectateurs soutenaient leurs revendications salariales.

Une Tosca de rêve et un plateau hétérogène

La chanteuse qui joue le rôle-titre de Tosca a un grand avantage par rapport aux Turandot, Aida ou autres Mimi : elle est la seule femme sur scène. Mais pas besoin de ce subterfuge pour la splendide Anna Netrebko. Elle rayonne de sa propre lumière. Elle a une séduction ineffable, ce « je ne sais quoi » qui vous attrape dès qu’elle entre sur scène. Netrebko n’est pas non plus qu’une voix belle et puissante, au centre velouté et voluptueux et aux aigus éblouissants, c’est une musicienne accomplie qui sait moduler sa voix, en dosant le degré d’émotion nécessaire, sans jamais se laisser aller à des effets superflus. Son « Vissi d’arte » nous a éblouis par l’infinité de nuances déployées. Il a été, sans conteste, l’apogée de la soirée.
Qui plus est, la remarquable chanteuse lyrique se double d’une grande actrice charismatique. Netrebko ne se contente pas d’interpréter un rôle, elle est tour à tour une femme amoureuse, jalouse, véhémente, vulnérable, vindicative, un petit peu naïve, mais aussi une vraie croyante, et qui le reste, même après avoir tué. Ce fut un triomphe extraordinaire, une avalanche d’applaudissements, de cris, de sifflets d’admiration, une véritable ovation bien méritée.

Face à l’étincelante Anna Netrebko, il peut s’avérer bien difficile pour un ténor d’être à la hauteur. Mais l’azerbaïdjanais Yusif Eyvazov est son partenaire à la ville comme à la scène. Il l’a sans doute bien assumé depuis longtemps. Pourtant, avec quel enthousiasme et quelle joie il a remercié les applaudissements nourris des spectateurs, surtout à la fin du spectacle ! Il faut dire que, si le timbre n’est pas trop beau, il possède un ample registre, des aigus puissants et livre des moments d’une grande intensité dramatique. Dommage toutefois qu’il cherche à afficher, sans nécessité, un débit d’air très large en usant et abusant des notes excessivement prolongées…

Le chef de la police secrète à Rome était le baryton argentin Fabián Veloz. Il connaît bien ce rôle qu’il a déjà chanté à Rome, Chicago, Beijing et au Teatro Colón de Buenos Aires en 2016. Son Scarpia est un manipulateur qui utilise la jalousie et l’ignorance de Tosca pour installer sur elle son emprise. Un vrai bourreau sadique et tordu qui jouit de son pouvoir et, dans un contexte de harcèlement et de contrainte, décrit à la diva avec minutie les tourments qu’il ordonne d’infliger à son amant, le peintre Cavaradossi. Autant dire un Scarpia remarquable, capable de traduire par sa voix chaleureuse et puissante toutes ces émotions, et à la présence scénique engagée et intense, sans stériles débordements.

Le reste de la distribution locale s’est acquitté en général dignement de leurs rôles, même si on se doit de signaler que l’Angelotti d’Emiliano Bulacios a souvent été couvert par l’orchestre ainsi que le sacristain de Gustavo Gibert.

Sous la baguette magistrale de Michelangelo Mazza, qui a toujours veillé à maintenir l’équilibre entre la fosse et la scène, l’Orchestre Permanent du Teatro Colón a offert une interprétation superbe. Il faut aussi signaler l’excellente performance du Chœur permanent et du chœur d’enfants, très applaudis à la fin du premier acte.
En somme, une soirée qu’on n’oubliera pas de sitôt, pour clore la saison lyrique 2022 du théâtre d’opéra le plus important d’Amérique latine.

Visuels : © prensa Teatro Colón / Máximo Parpagnoli

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