Il est vrai qu’on arrivait à l’Opernhaus de Zurich pour voir ce Barkouf d’Offenbach avec beaucoup d’attentes. Celle de découvrir un inédit du « petit Mozart des Champs-Élysées » dont, avant la précédente redécouverte par l’Opéra national du Rhin en 2018, nous n’avions pas entendu parler autrement que dans la si essentielle monographie de Jean-Claude Yon consacrée au compositeur. Celle du traitement scénique qui serait fait de cette fable si actuelle où le peuple d’une province lointaine défenestre régulièrement son vice-roi, lorsque, las, le Grand Mogol du pays décide de le remplacer par un chien (Barkouf) qui, à la surprise générale, remplira sa mission bien mieux qu’aucun autre chef… Celle de voir enfin ce qu’une maison aussi sérieuse que l’Opernhaus de Zurich pouvait avoir à dire en programmant un si rare Offenbach entre ses murs, Johann Strauss ayant en terre suisse allemande davantage la cote qu’Offenbach.

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Barkouf à l'Opernhaus de Zurich
© Monika Rittershaus

Orchestralement en tous cas, les attentes sont comblées. Jérémie Rhorer à la tête du Philharmonia Zürich n’y va pas de main morte pour décaper Offenbach au scotch-brite de tout un imaginaire trop souvent flonflon et cotillon. La force de frappe est évidente, les sonorités sont tranchées et variées, et il n’est pas un recoin de partition où il ne tente de faire ressortir une couleur instrumentale qui aille au-delà d’un simple effet de couleur locale dans cet orientalisme de pacotille. Certaines fins de tableaux ou d’actes, à grand renfort de caisse claire, sont menées tambour battant, comme pour relayer l’urgence et l’actualité du propos, dans une cohue générale de rythmes effrénés – quitte à aller parfois même jusqu’à créer des décalages avec le plateau et les chœurs, impeccables d’engagement vocal et scénique par ailleurs. Le point d’orgue de la soirée est certainement les deux interventions de Saëb, campé par le délicat ténor Mingjie Lei de sa voix haute, toujours nuancée et douce. D’abord son « Si long est le jour qui s’achève » à l’acte II où toute la mélancolie du jeune homme s’exprime en parallèle dans une merveilleuse plainte de violoncelle solo. Puis au troisième acte, dans un même registre, son aveu à Maïma « Ah si tu savais tous mes regrets », délicatement accompagné par l’orchestre, pastoral, au milieu d’une petite harmonie tout à fait charmante.

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Barkouf à l'Opernhaus de Zurich
© Monika Rittershaus

Le reste de la distribution n’est malheureusement pas du même acabit. La diction du français par la grande majorité des chanteurs est très aléatoire… Heureusement les surtitres (anglais !) sont là pour aider. Le vibrato excessif et les aigus claironnants de Brenda Rae dans le rôle de Maïma nous laissent à distance. Rachael Wilson s’en sort mieux de son mezzo chatoyant, mais lâche aussi quelques aigus un peu tirés. Est-ce la direction enflammée de Rhorer qui oblige les chanteuses à de tels emportements ? Le Xaïloum de Sunnyboy Dladla s’éteint dans un timbre trop faible pour passer la rampe. Marcel Beekman campe quant à lui le compromettant Bababeck qui se veut calife à la place du calife. Il est à l’aise dans sa composition, mais avec un chant en dents de scie au fil de la soirée, son jeu physique semblant parfois le dépasser vocalement.

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Barkouf à l'Opernhaus de Zurich
© Monika Rittershaus

Et c’est peut-être du côté de la mise scène de Max Hopp qu’avec du recul, la déception est la plus grande. Rien à reprocher au premier abord à un travail au pied de la lettre qui voit Barkouf être monté dans son Orient originel. Les gags – timides et gentiment comiques – sont bien inoffensifs et caressent même le spectateur dans le sens du poil. Tous les outils de distanciation d’un théâtre contemporain sont présents : les récitatifs et réactions de Barkouf sont résumés par un Monsieur Loyal (André Jung) à l’humour pince-sans-rire so british, dans son costume de tweed à carreaux, ayant « à Paris le monopole des bruits d’animaux sur scène, de père en fils, depuis 1850 » ; certains changements de décors sont faits à vue avec intervention des techniciens ; la morale à la fin est explicitée en adresse au public… Et pourtant, si la censure de l’époque ne s’était pas trompée, nous rappelle Jean-Claude Yon en voyant dans Barkouf « une dérision perpétuelle de l’autorité souveraine de tous les temps, de tous les pays », rien ne semble ici s’emparer frontalement de la profondeur voltairienne et grinçante du propos. Tout reste seulement et naïvement divertissant, tiède et littéral, bien en deçà de nos attentes face à notre actualité.

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