Giacomo Puccini (1858–1924)
La Fanciulla del West (1910)
Libretto de Guelfo Civinini et Carlo Zangarini d'après la pièce The Girl of the Golden West de David Belasco
Création au Metropolitan Opera de New York le 10 décembre 1910

Direction musicale : Alan Gilbert
Mise en scène : Christof Loy
Scénographie et costumes :  Herbert Murauer
Lumières :  Bernd Purkrabek
Dramaturgie :  Yvonne Gebauer
Vidéo :  Hobi Jarne, Nils Fridén, et Emil Gotthard
Chorégraphie :  Thomas Wilhelm

Minnie : Malin Byström
Jack Rance : Aleksey Bogdanov
Dick Johnson/Ramerrez :  Aleksandrs Antonenko
Nick : Göran Eliasson
Ashby : Lars Avidson
Sonora :  Jens Persson Hertzman
Trin : Jesper Taube
Sid : Ola Eliasson
Hello : David Risberg
Harry : Clifford Davis
Joe : Jonas Degerfeldt
Happy : Markus Schwartz
Larkens : Ian Power
Billy Jack Rabbit : Alar Pintsaar
Wowkle : Louise Reitberger
Jake Wallace : John Erik Eleby
José Castro :  Peter Haegström
Postiglione : Jon Nilsson

Kungliga Operans Kör
Kungliga Hovkapellet

Stockholm, Kungliga Operan, le samedi 4 juin 2022, 15h

Stockholm reprend la production de Christof Loy de 2011 pour La Fanciulla del West. C’est une production qui joue à la fois sur l’importance de La Fanciulla del West dans la production cinématographique du Western comme élément fondateur de création de mythes au début du XXe mais qui porte aussi un regard plus mélancolique voire politique sur la figure de Minnie, en l’isolant davantage, en lui donnant une profondeur et, dans une certaine mesure, une frivolité que n’a pas le personnage de Puccini. Loy joue avec la focale pour juger cet opéra dans sa fonction vériste, son rapport au réel, et dans ce jeu de cache-cache entre opéra et cinéma qui structure les deux formes d’art au XXIe. Même jeu avec Minnie à la fois star, femme à tout faire, épicentre et pantin femelle au milieu d’un groupe d’hommes blancs prédateurs (selon la formule consacrée) reléguée dans un ailleurs lorsqu’elle n’est pas active. D’où un regard très distancié sur un spectacle qui se veut prenant par ses auteurs et dans lequel Loy, fin observateur, se fait un peu gâche-sauce. Idem pour Malin Byström qui colle, physiquement et vocalement, à ce rôle plus léger de femme ballotée par la vie et les hommes voulu par Loy mais qui laisse un peu sur sa faim en émotion et en rondeurs.

C’est un fait assez amusant d’imaginer que la forme d’art dominant la production culturelle du XXIe siècle, le cinéma, qui plus est le cinéma américain et notamment le Western, tire ses sources et sa production de mythes, d’un opéra vériste d’italiens (Puccini et ses librettistes Civinini et Zangarini) calibré pour satisfaire le public américain au Metropolitan Opera en 1910. On ne reviendra pas sur son influence sur la production future de westerns, sur Goldrush (La Ruée vers l’Or) de Chaplin (1925) ou Greed (Les Rapaces) de Stroheim (1924), que Loy a en sans doute en tête (nous y reviendrons), contentons-nous de citer la légende qui veut que Walt Disney ait donné le prénom de Minnie à la compagne de Mickey en référence à la Fanciulla.

Les rapports opéra-cinéma sont très élastiques et faits de constants renvois d’ascenseurs et si peu d’amateurs de western connaissent la Fanciulla… On retrouve les mêmes rapports, oubliés et/ou méconnus, entre le Ring et Star Wars.

Loy, lui, n’oublie pas et fonde même son Ouverture sur ce rapport retrouvé dès l’introduction orchestrale. Au rideau se substitue l’écran pour introduire ce Far West, tellement familier. Aux productions de Griffith, ou celles incarnées par le cowboy mythique joué par Tom Mix, Loy choisit le style John Ford, cinéaste classique par excellence pour montrer l’arrivée en fanfare de la cowgirl Minnie, sur un cheval, dans Monument Valley. Nous sommes en dehors du temps et de l’espace de la Fanciulla, mais peu importe puisqu’on est dans la production d’images, de références à d’autres mythes. On pense aux black faces des « indiens », aux tournages au Mexique, voire au Western Spaghetti.

Ce n’est pas le John Ford du début, même si les images sont en noir et blanc (Ford débute en 1917), les cadrages font penser à celui de l’infâme The Searchers (La Prisonnière du Désert) dans lequel John Wayne, assoiffé de vengeance, traque les « peaux rouges » qui ont enlevé sa fille. Le John Wayne raciste à souhait permet de faire le lien sans doute avec les personnages de natifs, passablement maltraités par les librettistes de Puccini.

De discrets ingrédients, un levain certain, mais on est avant tout dans le spectacle, l’écran large, le cinémascope apte à saisir ce vaste espace, avec une héroïne flamboyante, souriante, féminine mais avec tous les attributs mâles du cowboy : cheval, pantalon de cuir large, flingues… Une Minnie détournée de son rôle puccinien de tenancière de bar, gardienne du trésor des mineurs, maîtresse d’école, épouse rêvée et mère de tous. On s’attend, alors, à une autre Minnie, plus conforme aux attentes d’une société moderne.

C’est aussi une Minnie qui crève littéralement l’écran (de papier), comme un cowboy de cirque (le cinéma, art forain), qui recycla aussi les anciens héros du grand Ouest (cf. les Wild West Show de Buffalo Bill et Calamity Jane). Elle déchire le papier et apparait tout sourire, révolvers en main. Le spectacle commence.
Pourtant, après l’avoir montré bigger than life, Loy va retourner la figure de Minnie.
Le décor est constitué d’une grande et large pièce en bois où se déroule l’action, où se déploient les hommes et leurs agissements. Au premier acte, c’est le saloon, un saloon étriqué, sans décoration, symboles d’une vie morne. Une estrade dans un coin bariolée de la star spangled banneer attend un spectacle qui ne viendra pas, qui laisse supposer un lieu de harangue politique (comme dans The Man who shot Liberty Valance) ou de spectacles grivois. Le doute planera toute la pièce : qui monte sur cette scène ? Des femmes de petite vertu ou Minnie elle-même ? C’est un hors champ qui crée le malaise tout comme la salle de l’arrière fond dans laquelle s’engouffrent parfois les hommes. Un lieu qui reste indéfini.

Autre détail lourd, Billy Jack Rabbit, l’Indien, reste assis sur le sol la plupart du temps face aux spectateurs retrouvant les atroces indications du livret (« Il est menteur et sournois »). On le verra tailler un bâton en forme de pique pendant l’épisode de la triche. En bas de l’échelle sociale, l’exploité « racisé ».

Le Caporal Épinglé ou la mise à l’amende avec le saloon comme espace de vie (de mort ?) clos.

Pendant tout le premier acte qui est définition d’un espace, le lieu de vie des mineurs, leur exil et la mélancolie qui en découle, leur attente de Minnie ; elle, au contraire, est présente aux yeux des spectateurs dans une petite pièce adjacente à jardin, pièce très étroite, quasi prison dans laquelle Minnie se prépare.

La Minnie de Loy n’est pas ce personnage naïf et simple, à foi de charbonnier, elle est LA Femme, prisonnière du désir des hommes (sexuel, maternel, mais aussi de savoirs), donnant tout, recevant peu. Son apparition est un événement et doit être préparée et c’est ce que cette Minnie fait, attablée à sa causeuse. C’est une Minnie qui ne rappelle pas pour autant les filles de Saloon. Avec ses cheveux crantés et sa jupe longue, elle évoque plutôt les femmes de la période de composition de l’opéra, suggérant son possible avenir, la femme libérée (ou en voie de libération) des années folles.

Minnie (Malin Byström) centre solaire et proie dans un milieu grisâtre.

Dans cette attente de Minnie par les mineurs, déjouée par Loy, on se démarque de l’atmosphère de mise en place, mélancolique, certes, mais qui devient ici très amère.
C’est une Minnie déçue par la vie, maltraitée par les hommes, condamnée à jouer ses rôles sociaux et à se retirer dans une vie végétative pour se reposer (on n’ose écrire respirer).
Elle incarne le pendant féminin de ces chercheurs d’or : à l’inlassable quête s’oppose l’inlassable ennui. On pense à la figure de Trina dans Greed((entre le roman de Franck Norris de 1899 et son adaptation en 1924, se trouve exactement la création de La Fanciulla)) de Stroheim, dans lequel l’ex mineur Mc Teague devenu dentiste épouse Trina, femme simple, qui engluée dans ses rôles sociaux d’épouse, dépérit, sombre dans une avarice folle qui conduit à la ruine de son couple et à ce que son doux mari l’étrangle… Cette scène pathétique est encadrée par les débuts laborieux dans la mine et le duel fratricide des deux camarades dans la Death Valley pour un magot de pièces d’or. Victime collatérale des combats pour la ruée vers l’or des hommes, la femme, dessèche socialement.

Ruée vers l’or et cinéma toujours, un des mineurs prend le costume et les mimiques de Charlie Chaplin, celui sans doute de Goldrush en 1925. Il s’agit de marquer visuellement en prenant appui sur des images mythiques du cinéma, cet épisode d’exil d’une nation en train de naître. De souligner à gros trait connus de tous la pauvreté, sociale et familiale.

Convocation des clichés encore, le shérif et le représentant de la Wellls Fargo, représentants de l’Ordre et du pouvoir, bourgeois plus que représentants d’une autorité morale forte et bienveillante (allons jusqu’au modèle bicéphale incarné par James Stewart et John Wayne dans The man who shot Liberty Valance de Ford). C’est une autorité vague, sans réelle incarnation, faite de symboles simples (au veston, une étoile de sheriff vs une carte de joueur tricheur) : circulez, il n’y a rien à voir. On sent que Loy dépossède leur autorité, comme dans une démocratie représentative exsangue. Ils sont le pouvoir depuis toujours : on ne le questionne pas. La remise en question, nécessaire et légitime, aboutira au IIIe acte.

Minnie apparaît enfin. Après sa longue mise en condition plus que préparation, donc désamorcée. Elle surjoue la gaité, minaude, plus adjuvante qu’adjudante, valeur ajoutée au petit commerce de Nick, en bras de chemise comme tout bon tenancier de saloon selon l’image consacrée. Minnie est l’aguichante « vendeuse », presque hôtesse de caisse, pot de miel de la Polka. À ce titre, elle tourbillonne, virevolte : fini la bonne fille, voici l’employée. Voilà qui enterre l’utopie du Far West et prépare le futur des USA.

Minnie (Malin Byström) et Rance (Aleksey Bogdanov) dans le réduit de la demoiselle.

Minnie est une employée multitâches : après avoir encouragé la vente de tabac et d’alcool, la voici chargée de l’instruction des mineurs, toujours dans la saloon open-space, reconvertible aisément car sans habillage. Elle se doit d’être à tous et non à chacun, les excitant mais sachant se retrancher dans son antre devant les plus entreprenants comme Rance. C’est le mur-cloison qui la sépare de l’amour, sentimental et physique, incompatible avec sa fonction dans ce lieu.

Mais voilà l’imprévu, l’outlaw, l’en dehors de la communauté, l’élément perturbateur : Johnson/Ramerrez, lui aussi campé dans sa fonction de bandit déguisé en quête du magot, voire des trésors locaux (l’or, la fille). Les deux ne sont guère difficiles à trouver dans ce décor spartiate : un tonneau blindé posé contre la cloison du réduit de Minnie pour souligner que la prise de l’un est liée à l’autre…

La Minnie de Loy minaude, peut-être plus passionnée par la nouveauté que par le souvenir d’un début avorté d’amourette. La Minnie de Loy est dépouillée de son innocence, délavée de sa fraîcheur : employée, jouet maladif et donc prête à dérailler…

L’acte II reconfigure le décor. La vaste pièce est devenue la chambre de Minnie et toujours à gauche, le cabinet de toilette. Chambre spartiate mais coquète avec son papier peint fleuri, son lit doré, ses lambris, son tapis IKEA en forme de peau d’ours. On est loin de la cabane des pionniers, on est dans un confort de classe (très) moyenne. La maison refuge, cocooning, de l’employée… qui elle-même emploie le « natif », bon (quoique…) sauvage mais à éduquer. D’ailleurs, un crucifix bien en vue décore le mur.

Minnie se prépare une fois de plus, avec beaucoup d’entrain cette fois pour accueillir la visite de l’étranger Johnson/Ramerrez. La Minnie à taille de guêpe de Malin Byström, elle, n’a pas de mal à enfiler ses vieilles chaussures rouges de Monterrey. On perd en ironie ce qu’on gagne en plasticité..

Les amoureux sont enfin seuls et la tempête peut se déchainer. C’est un déluge d’images kitsch qui s’amoncelle : la neige qui tombe, les lumières caressantes pour souligner les tourbillons de la passion et la solitude des amants. On pense à City Girl de Murnau (source d’inspiration de Malick pour Days of Heaven (1978)) tourné en 1930, et qui joue sur la pression économique, les oppositions-attirances passionnées ville-campagne, la chambre prison féminine et les éléments climatiques comme révélateurs. Les éclairages très cinématographiques jouent sur cet aller-retour permanent entre l’opéra et le cinéma, là encore pour désamorcer le grand duo d’amour attendu de cet acte II, comme pour dire : attention clichés, ne vous laissez pas endormir par ce que vous voyez.

Minnie (Malin Byström) et Johnson/Ramerrez (Aleksandrs Antonenko) en  image  de cinéma de studio : la chaleur de la passion et la douceur de la tempête de neige.

Reste que Loy suit à nouveau le livret de près pour clore son acte avec la traque de Rance et des mineurs pour trouver le bandit Ramerrez, avec toujours une pointe d’ironie. Ainsi, il ne joue pas sur le grenier où se cache Ramerrez, invisible pour les spectateurs et donc casse l’attente du sang coulant du plafond (rappelons que Hawks dans Rio Bravo exploitera à fond ce ressort lors de la scène où l’adjoint du sheriff alcoolique joué (hem…) par Dean Martin lutte contre ses mauvais penchants et in extremis dézingue brillamment un malfrat planqué). Loy ne nous donne pas le loisir de voir le grenier ni Ramerrez mais descend un très long escalier du plafond ! Ascenseur vers un ailleurs social ou amoureux sans doute…

Il ne reste plus qu’à jouer le climax : la partie de cartes où Minnie et Rance s’affrontent au poker à quitte ou double. Loy ne lutte pas et laisse faire la musique et ses chanteurs, tendus, avec une Minnie tricheuse comme il se doit, cartes dissimulées dans la jarretière.

Après deux actes dans lesquels Loy tente de défaire la couleur locale de la Fanciulla, d’ironiser sur cette amourette de cinoche (après tout, il y a beaucoup de mensonges chez Ramerrez) tout en notant l’importance notamment cinématographique à venir de cet opéra, le metteur en scène va appuyer sur la dimension sociale de sa Minnie, voulue comme employée esclave des hommes et jouer à fond la carte émouvante du livret.

Alors que les mineurs ont capturé Ramerrez et vont se livrer à son exécution, Loy nous replace dans le saloon, comme un retour à la normale. Billy Jack Rabbit, en inquiétant Joe l’indien, noue, cette fois-ci, lentement un énorme nœud coulant.

Pendant que les hommes s’affairent et cherchent à se débarrasser du coq de trop dans le poulailler, Minnie a repris sa place dans son réduit. À la fois pour se préparer pour sa dernière scène (dans notre attente de spectateur) mais, car le spectateur est toujours pris à défaut ici, surtout pour la replonger dans son activité quotidienne, isolée des hommes, en attente des hommes. Elle se prépare avec la même lenteur que Billy noue, mais l’un s’adapte à la situation, elle, rejoue sans cesse les mêmes gestes. C’est une Minnie prisonnière quasi jusqu’au bout que Loy nous montre.

Johnson/Ramerrez a beau livrer ses dernières vibrantes volontés, il le fait mécaniquement, comme un séducteur bandit de pacotille, comme Rance et Ashby incarnent l’autorité, sans vie. C’est plutôt la détermination sourde de Billy, bras armé de la foule mouvementée, qui agit. D’ailleurs, c’est, ironiquement, son bras qui dépasse du plafond pour tendre la corde.

Reste à faire intervenir Minnie, aidée par Nick et Sonora, qui va inverser voire renverser l’ordre social brutal, avec son grand appel à la compassion. On attendrait l’ironie de Loy, au contraire, il souligne le trait en plaçant Rance dans le réduit de Minnie qui va s’enfoncer dans la coulisse à jardin au fil du chant, comme deux poids d’une balance. Et pour une fois, tout le monde sur scène s’accorde pour laisser gonfler les bons sentiments et dérouler le pathos puccinien pour un happy end en bonne et due forme, comme le cinéma en fera tant par la suite, comme si le studio (ici librettiste, compositeur et producteur) avait eu le final cut contrairement au metteur en scène.

Minnie (Malin Byström) dans son autre tenue et son autre moi.

Il s’agit ici d’y croire, en fin de compte. Exit le méchant Rance, le couple adoubé par la communauté, ressoudé autour de Minnie, vraie autorité morale, peut s’en aller vers de nouveaux horizons. C’est toute la magie de Loy  d’être encore plus ironique en jouant à fond la carte de la grande résolution car d’autres problèmes planent (la main et la corde de Billy) et les mensonges de Ramerrez connus de Minnie. Le rideau tombe et pourtant tout reste à jouer. C’est sans doute comme cela qu’il faut prendre la Minnie de Loy, une femme en cours d’émancipation et qui devra rejouer (aux cartes et aux harangues ?) sa position chèrement acquise. Quitte à tricher un peu pour aider le destin.

Au final, c’est donc une production qui démonte le spectaculaire et qui questionne l’apparat des images en recourant ostensiblement, et donc en la mettant à distance, toute une gamme de lumières et d’images fétiches issues du cinéma. Il s’agit pour Loy de lutter contre les effets somniphères du spectacle et de nous inciter à ne pas regarder béatement les mythes de l’opéra, du cinéma, du Grand Ouest. Il y a bien une lourde échelle sociale qui tabasse les populations natives, mises de côtés (Billy), les pauvres en rupture de ban (Ramerrez), tous deux laissés pour compte (et auxquels on peut ajouter la Micheltorena, tout à fait hors champ), et tout en bas ou presque, les femmes, jouets d’exploitation à tous les niveaux.

Loy lutte donc contre les charmes de la musique de Puccini et la prestation d’Alan Gilbert de ce soir-là suit ses choix. C’est presqu’une lecture analytique, quasi desséchée dans le premier acte : peu d’élan, des motifs qui sont tirés comme des coups de feu, même la complainte de Wallace prend des teintes grises (accentuées par le personnage énigmatique à la Chaplin). Au second acte, c’est une horlogerie maniaque (ces fameux timbres de la partie de cartes) qui prend le dessus sur la fougue passionnelle, tout le temps mise à distance. Ce n’est qu’au IIIe acte quand Loy choisit de coller davantage au livret que se déploie le lyrisme des cordes et que les volumes prennent du champ. C’est une sorte de laisser aller au happy end qui nous prend et qui est totalement géré par Gilbert. C’est donc malin et cohérent mais nous laisse un peu sur notre faim dans nos attentes sur une partition et un livret qui globalement visent aux bons sentiments voire aux larmes.

Dans l’ensemble, la troupe de l’Opéra assure le spectacle par ses voix bien assurées et un ensemble homogène. C’est une troupe de mineurs aux personnages bien caractérisés par des solistes sans doute ravis de jouer la cohérence d’un groupe d’individualités. On attend Meistersinger… L’anti duo Rance Johnson/Ramerrez était Aleksey Bogdanov et Aleksandrs Antonenko.  Le baryton américano-ukrainien Aleksey Bogdanov et le ténor letton Aleksandrs Antonenko offrent les deux visages de l’amour masculin : l’un mâle violent ombrageux aux basses profondes et vibrantes, l’autre aux élans passionnés, aux aigus clairs bien posés, aux accents déchirants. Face à ses deux possibilités, la frêle Minnie de Malin Byström à la voix ductile comme son corps agile, habile à bouger sur scène et donner corps à cette vraie fille de l’Ouest, apte (malgré tout…) à vivre dans une société d’hommes, à jouer du flingue et de la prunelle. Reste que vocalement comme physiquement les atouts de Byström peuvent presque s’avérer des handicaps dans La Fanciulla, spécialement dans celle-ci où Minnie s’encroute et se lasse. Les aigus sont beaux, la puissance est là mais on aimerait plus de rondeur, un spectre plus large pour atteindre et donner plus de bonhommie à ce caractère si touchant de Minnie. Là encore, on repense au frêle oiseau blessé, mais ô combien vigoureux, de Trina dans Greed de Stroheim. C’est un beau pari à tenter pour Byström mais peut-être pas pour s’y épanouir totalement.

Au total, c’est une bonne soirée, avec des atouts, Bogdanov et Antonenko, et un trio, Loy, Gilbert, Byström qui s’interroge intelligemment sans forcément convaincre le cœur.
Tre assi e un paio…
Buona Notte.

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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

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