À Aix-en-Provence, le Moïse et Pharaon très politique de Tobias Kratzer fait long feu

- Publié le 11 juillet 2022 à 08:44
Le metteur en scène relie le conflit entre Égyptiens et Hébreux aux problématiques d’aujourd’hui, sans pleinement convaincre.
Moïse et Pharaon de Rossini

Satoshi Miyagi voulait rendre Idoménée à sa dimension mythique. Tobias Kratzer, lui, démythifie Moïse et Pharaon, la deuxième œuvre de Rossini destinée à l’Opéra de Paris, adaptation de son Mosè in Egitto napolitain. Le Japonais avait échoué, l’Allemand n’a pas réussi. La partition devient l’affrontement de la civilisation occidentale et des migrants échoués en Méditerranée, à Lampedusa ou à Lesbos. D’un côté, les tentes des réfugiés, souvent victimes de violences policières, de l’autre les bureaux rutilants des capitalistes sapés, maniant téléphones portables et ordinateurs. Les sept plaies d’Égypte sont des catastrophes d’aujourd’hui, incendies ou inondations, dont CNews fait ses choux gras. Le metteur en scène crée aussi un personnage, celui de la princesse à laquelle Pharaon destine son fils. C’est ancrer davantage encore le mythe dans le fait divers, seul Moïse conservant ses habits de prophète biblique et son bâton. À la fin, les Hébreux partent sur des canots pneumatiques – image du passage de la mer Rouge, sous-titre de l’oeuvre.

Au ras de l’aujourd’hui

Approche politique, donc, en forme de dénonciation, qui touche jusqu’à l’opéra lui-même, à travers ce ballet d’un autre âge voulant montrer l’inanité du divertissement capitaliste. La fresque a disparu, mais aucune vraie vision ne l’a remplacée, plutôt lecture au ras de l’aujourd’hui. À grand renfort de vidéo, la production aligne tous les clichés du moment, certes bien huilée, d’une efficacité toute conventionnelle dans la direction d’acteurs. En niant la transcendance, en imputant les plaies d’Égypte au capitalisme prédateur, la trivialisation parfois hyperréaliste du propos a émoussé, sinon détruit la puissance de la partition, jusqu’à cette fin où, alors que les rescapés chantent le Cantique final au milieu du public, des plagistes se prélassent sur une grève débarrassée des indésirables – on aurait préféré la version plus novatrice où tout se termine sur un pianissimo de l’orchestre.

Inégalités

C’est dans la fosse, à la tête d’une phalange lyonnaise dont attendait plus belles sonorités, que Michele Mariotti, malgré des décalages, fait passer le souffle de l’épopée, grâce à une direction très théâtrale, créant des atmosphères aux couleurs contrastées, entre espoir et abattement. Il redonne vie au ballet sous-estimé, dont on goûte l’instrumentation. Mais il dirige une distribution inégale, au français plus ou moins exotique.

Grande figure de la Rossini Renaissance, mémorable Moïse par le passé, Michele Pertusi n’en a plus les moyens, voix usée aux graves disparus, à la peine dans la célèbre Prière, ne retrouvant que par instants l’autorité du prophète et la du styliste. Adrian Sampetrian, en revanche, porte beau en Pharaon plein de morgue, par la fermeté de la ligne et l’assurance de la vocalise, père de l’Aménophis d’un Pene Pati à peine sorti du Covid, qui assure comme il peut.

Voix singulière et peu amène, Jeanine De Bique n’avait pas encore abordé Rossini : si son Anaï confirme un vrai tempérament dramatique, elle n’a pas encore la souplesse d’émission et de ligne qu’on attend. Déjà mère attendrie à Pesaro l’année dernière, Vasilisa Berzhanskaya éblouit toujours par l’insolence de l’aigu, le mordant de la vocalise et la pertinence de la composition dans le rôle à la tessiture éclatée de Sinaïde. Ceux qui ont peu à chanter se signalent aussi : non pas l’Osiride d’Edwin Crossley-Mercer, mais l’Eliézer de Mert Süngü, ténor aigu au beau métal qu’on pourrait entendre en Aménophis, la Marie de Géraldine Chauvet, mezzo charnu au timbre chaud. Peut-être éprouvé par le virus, le chœur, ici personnage à part entière, chante en partie masqué, d’une homogénéité assez relative.

On n’avait pas vu Moïse et Pharaon en France depuis le spectacle de Luca Ronconi, avec Samuel Ramey, Cecilia Gasdia et Shirley Verrett. Quatre décennies plus tard, la production aixoise tient un peu du rendez-vous manqué.

Moïse et Pharaon de Rossini. Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, jeudi 7 juillet 2022. Sur Arte Concert à partir du 12 juillet à 21h30.

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