À Aix-en-Provence, Satoshi Miyagi pétrifie Idoménée

- Publié le 8 juillet 2022 à 13:07
Malgré la direction musicale inventive de Raphaël Pichon, le spectacle statique et comme privé de théâtre du metteur en scène japonais ennuie vite, la distribution laissant elle aussi une impression mitigé.
Idomeneo à Aix-en-Provence

Satoshi Miyagi a raison : les personnages d’Idoménée ne relèvent pas du fait divers, mais de la mythologie et de la tragédie grecque, dont il entend ressusciter l’esprit. Puisqu’ils s’adressent aux dieux plutôt qu’ils ne se parlent, il les juche sur des cages, qui se déplacent lentement, alors qu’eux restent immobiles, rivés à une rampe, face au public. Il pétrifie du coup l’opera seria, qu’on a, depuis des décennies, cherché à ranimer. L’ennui s’installe dès l’entrée d’Ilia. Quant à la référence au Japon de 1945, où les soldats croyaient que leur empereur, comme eux, serait prêt au suicide, elle laisse perplexe. Les âmes mortes des combats deviennent ici la voix de Neptune contraignant Idoménée à l’abdication. Leurs ombres s’agitent derrière les parois des cages en des mouvements répétitifs dont on se lasse également très vite. Une production dont la cohérence se cherche en vain, une négation de toute mise en scène et donc de tout théâtre. De jolies lumières n’y font rien : c’est, là aussi, l’inlassable répétition du même. Quant à arrêter la première partie après « Fuor del mar », sans doute pour diviser la soirée en deux moitiés égales, c’est dramatiquement absurde. Le metteur en scène japonais voulait une rencontre entre la Grèce antique et le Japon moderne : elle n’a pas eu lieu. Certes discutable, l’Idoménée d’Olivier Py était, en 2009, s’avérait autrement stimulant.

Faut-il alors accuser les chanteurs de ne pas vraiment incarnerleurs personnages, alors qu’une version de concert ne les briderait pas ainsi ? Reprocher à Raphaël Pichon de ne prendre vraiment ses marques de chef de théâtre qu’à partir de la tempête du deuxième acte ? Au moins déguste-t-on, dès le début, une direction très inventive, jouant beaucoup sur les timbres. Sabine Devieilhe n’est que grâce en Ilia, même si l’on aimerait une voix plus ronde et plus corsée, des couleurs plus variées… et pas de suraigus incongrument ajoutés. Seule à chanter ses airs sur le plateau, comme voix des morts anonymes, Nicole Chevalier peut donner sa mesure, impressionnante dans l’hystérie d ses deux airs de fureur mais dure et instable dans l’amoureux « Idol mio, se retroso ».

Si bien qu’on reste surtout conquis par l’Idamante d’Anna Bonitatibus, un rôle pourtant vocalement problématique : beauté du timbre, homogénéité des registres, galbe du cantabile, sûreté de la vocalise. Plus baryténor que jamais, un peu amati dans l’aigu, Michael Spyres, pas moins victime de la production, reste en deçà des tourments du roi de Crète, vocalement admirable en tout cas, avec un « Fuor del mar » virtuose bien que sans insolence, et un « Accogli, oh re delmar »  superbement phrasé. Que le chœur soit excellent ne change rien à l’affaire : on a entendu des numéros musicaux, pas vécu une tragédie.

Idoménée de Mozart. Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, mercredi 6 juillet 2022. Sur Arte Concert à partir du 16 juillet.

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