Festival d’Aix-en-Provence 2022 (2)

Une Salomé de rêve.

Festival d'Aix-en-Provence 2022 (2)

Andrea Breth à la mise en scène, Ingo Metzmacher à la direction musicale et Elsa Dreisig dans le rôle-titre, voilà réuni au Festival d’Aix un trio de rêve pour une Salomé particulièrement réussie. Les deux premiers y étaient bien connus pour avoir donné, en 2019, un mémorable Jakob Lenz de Wolfgang Rihm. La troisième, ancienne artiste de l’Académie du Festival, y a joué Micaëla dans Carmen en 2017. À la trentaine, la soprano franco-danoise y campe une Salomé incandescente avec ce qu’il faut de séduction – physique et vocale – pour emporter l’enthousiasme.

Sulfureux s’il en est, le drame lyrique en un acte, créé en allemand par Richard Strauss à Dresde en 1905, est inspiré d’une pièce en français d’Oscar Wilde (1891), qui ne l’était pas moins. Également censurées à la création, les deux œuvres – littéraire et musicale – relatent la passion qui s’empare de la princesse juive Salomé pour le prophète Jokanaan (Jean-Baptiste pour les Chrétiens) qui annonce la venue du Christ.

Situé dans la Palestine pré-chrétienne sous domination romaine, l’opéra rend compte de ce moment charnière où deux mondes se télescopent, l’ancien incarné par une assemblée de Juifs empêtrés dans d’interminables controverses théologiques, et le nouveau, représenté par le prophète imprécateur. Celui-ci oppose une ferme résistance aux assauts de la princesse qui, vexée et furieuse, obtient de son beau-père, le Tétrarque Hérode, la tête du prophète sur un plateau d’argent afin de l’embrasser tout son saoul.

La metteuse en scène a fui comme la peste l’exotisme orientalisant et l’atmosphère kitsch et décadente où l’opéra baigne souvent. Au contraire, tout en sobriété, la direction des chanteurs et la dramaturgie, secondées par des éclairages particulièrement soignés, suit avec scrupule les lignes de tension du livret. L’ambiance est crépusculaire, propice au rêve érotique dans lequel il semble que Salomé se soit abandonnée.

Fille de Babylone

La scène plongée dans une pénombre perpétuelle est éclairée par une énorme lune pleine, inquiétante, qui décline lentement à l’horizon. Le sol est pavé d’ardoises inégales où s’ouvre insensiblement la porte d’une fosse. Le prophète apparait progressivement et lance ses imprécations contre la "fille de Babylone" qui tente de le séduire.

On reste plus perplexe devant la fameuse séquence de la danse des sept voiles où l’héroïne est doublée par quatre danseuses qui surgissent alternativement et dans lesquelles on suppose que Salomé se projette. En revanche, la scène finale est d’un réalisme cru, violemment éclairée par des néons d’abattoir, mais tenue par la même pudeur qui évite le bain de sang.

Avec sa silhouette féline, Elsa Dreisig campe une Salomé très crédible, adolescente de seize ans conforme au vœu de Strauss. Elle aussi dans la sobriété, la soprano veille à ne pas forcer sa voix dans cette partition qui reste l’une des plus exigeantes du répertoire. Sa maîtrise éclate dans le long air final où elle tient tête au déchaînement de l’orchestre, particulièrement des cordes.

Guidé par la double hantise du trop et du décadent, le chef a choisi la version remaniée par Strauss en 1929, qui vise à alléger la pâte orchestrale très riche et éviter que l’orchestre prédomine. Il tombe peut-être dans l’excès inverse d’une lecture analytique, un peu glacée. Rassemblant plus d’une centaine de musiciens, l’Orchestre de Paris sert magnifiquement l’écriture orchestrale étincelante dans ce spectacle de près de deux heures, animé par une tension qui va crescendo à son climax.

Illustration : Salomé mise en scène par Andrea Breth. Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Bernd Uhlig

Salomé de Richard Strauss, Grand Théâtre de Provence, les 9, 12, 16, 19 juillet, www.festival-aix.com
Direction musicale : Ingo Metzmacher. Mise en scène : Andrea Breth. Décors : Raimund Orfeo Voigt. Lumière : Alexander Koppelmann. Dramaturgie : Klaus Bertisch. Chorégraphie : Beate Vollack.
Salome : Elsa Dreisig, Jochanaan : Gábor Bretz, Hérode : John Daszak, Hérodias : Angela Denoke, Narraboth : Joel Prieto. Orchestre de Paris

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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