À Aix-en-Provence, Romeo Castellucci ritualise la Symphonie n° 2 de Mahler

- Publié le 6 juillet 2022 à 12:20
En ouverture du prestigieux festival lyrique, le metteur en scène italien offre de la « Résurrection » une vision funèbre qu’épouse la direction d’Esa-Pekka Salonen.
À Aix-en-Provence, Romeo Castellucci ritualise la Symphonie n° 2 de Mahler

Cube de ciment au milieu des terres rouges des mines de bauxite, le Stadium de Vitrolles conçu par Rudy Ricciotti, inauguré en 1994, était désaffecté, squatté et vandalisé depuis 1998. Il vient de revivre grâce au festival d’Aix-en-Provence, avec la Symphonie n° 2 « Résurrection » de Mahler revisitée par Romeo Castelluci et dirigée par Esa-Pekka Salonen.  L’œuvre ne s’imposait-elle pas d’elle-même, puisque le Stadium ressemble à un « grand tombeau de ciment » ou à un sarcophage, à « une cathédrale dans le désert » ou encore à « la masse compacte qui entoure la centrale de Tchernobyl » ? Et puisque l’édition 2022 se place sous le signe de la traversée de l’épreuve et de la renaissance ?

Charniers méditerranéens

Mais l’Italien ne suit pas la vision eschatologique de Mahler. Après la découverte d’un charnier par la dompteuse d’un cheval blanc, la résurrection est ici exhumation de cadavres rendus à leur monde et à leur identité. Les vivants, ainsi, pourront faire leur deuil. Pendant les trois quarts de l’œuvre, des employés du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés parfois pris de nausées – une pelleteuse aussi – déterrent des corps, d’adultes ou d’enfants, puis les emportent, enveloppés de leurs suaires blancs, dans des camionnettes.  

Le metteur en scène évoque les fosses communes de l’ancienne Yougoslavie, de la Syrie et du bassin méditerranéen, précisant qu’il a conçu son spectacle avant la guerre en Ukraine. Il vise d’ailleurs l’universalité et entend susciter des souvenirs des visions de l’enfer de la peinture occidentale, celles de Fra Angelico ou de Memling – avec des autoréférences : on creusait la terre, il y avait un cheval dans sa Jeanne d’Arc au bûcher. Le paradis, lui, a disparu. Quand la scène s’est vidée des cadavres, un rideau de pluie s’abat sur la boue grise des charniers, baigné d’une douce lumière : l’eau qui purifie, qui féconde peut-être la nature, celle aussi des larmes du deuil enfin possible. Comme un nouveau matin du monde. Mais après ? 

Une belle image, comme celle où, au début du solo d’alto, tout le monde se fige un moment sur la scène. C’est peu. Castellucci a-t-il vraiment relevé le défi du lieu et de la partition ? Celui du lieu, sans doute. Quant au rituel funéraire, d’horreur, de pitié et de piété mêlées, il lasse très vite par la lancinante et interminable répétition des mêmes gestes. « Installation dynamique » plutôt que « spectacle », il ne colle pas non plus à la musique, ni à son esprit ni à son tempo : que faire des sourires du Ländler alors qu’on exhume les enfants, puis des ricanements du scherzo ? Voilà qui pose, une fois de plus, la question de la légitimité de la transposition à la scène des œuvres symphoniques, fussent-elles « à programme ». 

Grand soir orchestral

Esa-Pekka Salonen, en tout cas, adhère au propos– par consentement ou malgré lui ? Il assombrit le Ländler, qu’il dépouille de sa « Gemütlichkeit » viennoise, ne fait guère grincer le scherzo. Mais c’est orchestralement magnifique, comme le premier mouvement, qu’on aurait aimé moins décousu cependant, avec un Orchestre de Paris des grands soirs. Cela change ensuite, lorsque s’élève de la fosse l’« Urlicht » superbe de Marianne Crebassa, rejointe pour le final par Golda Schultz : alors que la scène se vide, le chef épouse pleinement la musique, libéré peut-être, inspiré en tout cas, concentré et tendu, nous bouleversant enfin dans ce passage à l’apocalypse lumineuse. On regrette seulement de ne jamais l’apercevoir, pas plus que les cordes, et d’entendre les graves de l’orchestre assourdis par une affreuse sonorisation. Assis de part et d’autre des musiciens, le chœur, qui se lève au moment de la résurrection, est splendide, par l’homogénéité et l’éventail des nuances : bravo aussi à Marc Korovitch. 

Mahler, Symphonie n° 2. Festival d’Aix-en-Provence, Stadium de Vitrolles, le 4 juillet 2022. Sur Arte à partir du 13 juillet.

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