Un inoubliable Macbeth - signé Barrie Kosky - à l'Opernhaus Zürich

Xl_george_petean_dans_macbeth___l_opernhaus_z_rich © Monika Ritterhaus

Cette représentation de Macbeth du 29 mars, à l’Opernhaus Zürich, était particulièrement attendue car elle affichait rien moins qu'Anna Netrebko en Lady Macbeth. Las, suite à la guerre russo-ukrainienne, la soprano russo-autrichienne a préféré se retirer de l’affiche – on l'évoquait dans une brève dans laquelle nous relayions ses propos et justifications. Sa compatriote Veronika Dzhioeva, qui devait assurer cinq des sept représentations, interprétera finalement le personnage shakespearien sur toutes les dates (jusqu’au 1er avril).

Avouons d’emblée que les impressionnants moyens de la « remplaçante » atténuent quelque peu la frustration de ne pas entendre la Netrebko dans l’un de ses rôles les plus emblématiques. De fait, la soprano russe impose dés son air d’entrée l’incandescence éruptive et électrisante de son personnage. Avec un registre grave furieux et saisissant, doublé d’un aigu tranchant comme une lame de rasoir, elle toise les chausse-trappes de l’écriture escarpée de Giuseppe Verdi avec l’aplomb d’une alpiniste escaladant le Mont-Blanc à mains nues. Le baryton roumain George Petean lui vole néanmoins la vedette, tant il s'avère idéal en Macbeth, son meilleur emploi à ce jour selon nous. Au-delà d’une qualité de legato exemplaire et d’un incomparable sens des nuances, c’est sa saisissante incarnation de ce roi faible, renfermé sur lui-même, rongé par le doute en ses capacités de chef et victime de la soif de pouvoir d’une épouse sans scrupule, qui fascine. Mais on rend aussi les armes devant la beauté du chant capable, après les plus farouches éclats, de moduler admirablement la scène des apparitions et de terminer son parcours vocal par un « Pietà, rispetto, amore » proprement bouleversant ! La basse italienne Riccardo Zanellato, déjà entendue dans le même rôle à l’Opéra de Lyon, est un excellent Banco, au timbre superbe, à la voix puissante, avec un grave rond et plein. Ancien troupier de la maison zurichoise, Benjamin Bernheim est un vrai luxe en Macduff, et il lui suffit d’entonner « Ah, la paterna mano » – inouï de raffinement –, pour faire délirer un public zurichois pourtant peu expansif en général. Rien à redire, enfin, sur des comprimari parfaitement choisis.

Côté régie, le célèbre patron de la Komische Oper de Berlin, Barrie Kosky, propose une vision particulièrement sombre et noire de Macbeth, au propre comme au figuré, avec un plateau dénué de tout élément de décor et plongé dans l’obscurité. De simples faisceaux lumineux formant une ligne de fuite vers le fond de la scène, et un abat-jour sous lequel les deux protagonistes se réfugient la soirée durant, sont les seules sources de lumière en même temps que les seuls éléments scénographiques – si l’on excepte quelques chaises qui servent également de perchoir à des corbeaux. Des oiseaux, ou plutôt leurs cadavres, que l’on retrouve sur le corps inanimé de Macbeth pendant que résonne l’ouverture, qui voit aussi une masse compacte de corps nus (les sorcières) émerger des ténèbres du fond de la scène, pour se rapprocher progressivement, à pas lents, vers le héros (photo), et l’engloutir de leurs corps flasques (parmi lesquels de nombreux transsexuels ou personnes âgées). Les chœurs (magnifiques !) sont eux cachés en coulisse, pour mieux mettre le couple damné au centre de l'action, de même que cette masse informe de corps obscènes, que les éclairages de Klaus Grünberg rendent encore plus fantomatiques. Une vision glaçante et mortifère, tout en visions cauchemardesques, qui dit et répand la solitude et le néant.

La dynamique âpre et sombre, puissamment expressive, de la direction du chef talien Nicola Luisotti - à la tête d’une fabuleuse Philharmonia Zürich - souligne la dimension instinctive de la partition du maître de Busetto. Que de musique, de théâtre et d’émotions dans cette soirée inoubliable... dont on est sorti littéralement abasourdi et exsangue !

Emmanuel Andrieu

Macbeth de Giuseppe Verdi à l’Opernhaus Zürich, le 29 mars 2022

Crédit photographique © Monika Ritterhaus

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