Quasiment deux ans après avoir été contraint de fermer ses portes du fait du premier confinement, le Théâtre du Capitole offre au public le retour du ballet bouffon de 1745 : Platée de Jean-Philippe Rameau. Spécialiste du répertoire baroque, Hervé Niquet amène l’ensemble du Concert Spirituel sur ce terrain qu’il connaît si bien, dans une coproduction du Capitole avec l’Opéra royal de Versailles. La mise en scène et les costumes sont confiés à Corinne et Gilles Benizio (alias Shirley et Dino), assurant une approche revigorante, le duo n’en étant pas à son premier coup d’essai. Le maestro prévient : « cela fait deux ans qu’on répète, on est au ta-quet ».

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Platée au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Première originalité : Hervé Niquet prend la parole avant le début du spectacle et l’on comprend vite qu’il va devenir un acteur de celui-ci, apostrophant Gilles Benizio qui incarne le technicien dilettante. Le chef justifie le sacrifice du prologue par le fait « qu’il n’y a pas de roi dans la salle ». Plusieurs chanteurs et musiciens interviennent alors, s'inquiétant de la situation ou du montant de leur cachet. La mise en scène prend un parti simple : faire communiquer la salle et le plateau, par l’intermédiaire du chef qui, dans son rôle de pseudo-érudit-musicologue, en viendra même à faire chanter au public le canon Frère Jacques pour bien prouver que « oui, tout le monde connaît Rameau ». Le rideau s’ouvre sur l’orage tonnant au-dessus des favelas avec, au loin, le Cristo Redentor. Cette ambiance latine sera tour à tour figée et vivante, les dieux se rendant à l’avant-scène, lieu d’expression des sentiments humains qui les habitent. Simples mais enrichis de dizaines de détails, les décors (Hernan Penuela) font bon office, agrémentés de jeux de lumière (Patrick Méeüs) essentiellement reliés à la colère de Junon.

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Platée au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

La danse tient une place importante au cœur de l’œuvre et les nombreux ballets sont confiés à Kader Belarbi et à la troupe du Capitole. Danseurs et danseuses paraissent vêtus de diverses tenues contemporaines, mêlant styles et genres. Sur la musique de Rameau, on semble vouloir démontrer que tout est possible : le ballet passe tour à tour de la danse baroque au tap dance, de l’ambiance rock à celle d’une boîte de nuit années 80, sans oublier des allusions au ballet du XIXe siècle, les danseurs des favelas imitant (avec plus ou moins de réussite) les danseuses « classiques » en tutus blancs qui entrent en scène. De la même manière, plusieurs citations musicales viendront ponctuer l’œuvre, accentuant son aspect universel (samba, chanson française, notes rock, etc.).

Les costumes contribuent grandement à la réussite de cette production déjantée : La Folie adopte un style punk-rock, Mercure se révèle en excentrique précieux portant un manteau de fourrure, là où Momus devient un bellâtre dévêtu, ou Jupiter un sosie d’Elvis sur le tard. Dans ses métamorphoses, Jupiter devient tour à tour un superhéros en collants et masque (vite ridiculisé par son aspect bedonnant), puis un hibou multicolore clairement issu du carnaval brésilien, avant de terminer en toréador à paillettes qui en fait trop, prend feu et termine gazé par l’extincteur. Chacun en prend pour son grade et la farce manigancée par les dieux révèle aussi leurs failles.

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Platée au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Le travestissement de Mathias Vidal en Platée est léger visuellement mais excellent sur le plan vocal, le chanteur montrant ses capacités à passer d’une expression excessive et naïve à une infinie méfiance ou tristesse, en jouant sur le vibrato et la clarté du timbre. Particulièrement marquante et récompensée à l'applaudimètre, Marie Perbost incarne à merveille La Folie, tant par sa puissance vocale de soprano éclatante (y compris dans les suraigus) que par son rire dément et moqueur. Pierre Derhet (Mercure) se distingue par sa présence scénique maniérée, avec un timbre enrobé et parfois éclatant, quand Jean-Christophe Lanièce (Momus) reste un peu en retrait vocalement, moins audible et parfois couvert par l'orchestre. Jean-Vincent Blot (Jupiter) et Marc Labonnette (Cithéron) marquent leur rôle par une présence tranquille mais solide, n’hésitant pas à forcer le trait de la basse profonde pour tourner leur propre personnage en dérision : leurs premières interventions sont très virilistes et fortissimos. Enfin, Marie-Laure Garnier (Junon) incarne bien celle dont tout le monde a peur avec sa verve, sa voix chaude et puissante, tout en participant aussi à l'humour de la production (en rivalisant de « rrrr » excessivement longs contre Mercure). Pas un seul artiste, danseur ou choriste ne semble en retrait du jeu scénique, chacun s’investissant pleinement dans ses mimiques sans verser dans la lourdeur.

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Platée au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Force est de constater que le baroque reste le lieu d’expérimentation (réussie) par excellence lorsque les collaborations sont bien choisies et, sans perdre un sens aigu pour l’innovation et un certain goût du risque, respectent totalement l’esprit du livret et de la partition. Il en résulte ici une production haute en couleur où le rire est communicatif.

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