A Toulouse, une « Flûte enchantée » bien chantée !

- Publié le 24 décembre 2021 à 00:13
Distribution de haut vol pour l’opéra de Mozart, présenté dans une mise en scène du chorégraphe Pierre Rigal et sous la direction musicale de Frank Beermann.
A Toulouse, une « Flûte enchantée » bien chantée !

Comment représenter La Flûte enchantée, avec ses abondantes parties parlées, pour un public non germanophone ? A Toulouse, le chorégraphe Pierre Rigal, qui signe là sa première mise en scène lyrique, a choisi de planter côté cour un faux Mozart et un faux Schikaneder (le librettiste) qui, micro en main, doubleront les chanteurs pendant les dialogues – pas seulement traduits en français, mais assez réécrits, sans éviter quelques longueurs. Le procédé pourrait s’avérer gagnant si les deux comédiens variaient un peu plus leurs intonations pour camper les différents personnages ; et si ces derniers, réduits au mime, étaient stimulés par une direction d’acteurs un peu plus alerte.

Pour le reste, Pierre Rigal règle un spectacle aux multiples niveaux de lecture, mêlant danse, bruitages, vidéos, dans un plaisant décor de toiles peintes réinventé. Celui-ci montre d’abord un paysage de montagnes et de forêts, peuplé par toute une ménagerie, puis risque la surcharge lorsque se superposent des sphinx, des pyramides et… une station service. C’est que le metteur en scène ne renonce pas à chercher des résonances avec notre monde moderne. Ainsi, l’esclave Monostatos et ses sbires sont des livreurs à vélo, comme en exploitent quelques célèbres plateformes de la nouvelle économie. Les fidèles de Sarastro ont quant à eux la dégaine de gens très ordinaires, transfigurés par leur adhésion aux idéaux du maître – leur conversion donne lieu à un tableau fort intrigant.

Sobre et sombre

L’acte II est visuellement bien différent, beaucoup plus dépouillé : plateau nu laissant voir le fond du théâtre, quelques écrans noirs, des fumigènes et des phares incandescents figurant le feu pendant une scène des épreuves très réussie. Dans ce sobre et sombre univers, les héros accomplissent leur ascension vers la lumière en un cheminement aux allures de rituel, animé par les interventions piquantes des gamins et de trois dames aux costumes colorés et aux coiffes extravagantes. Spectacle baroque, imparfait, mais d’une lisibilité et d’une loyauté finalement sans ombre.

Et distribution de haut vol, où brille le fier ténor de Bror Magnus Tødenes, Tamino au timbre solaire comme à la projection insolente, avec dans l’expression un mélange de vivacité, d’ardeur et de nuance admirable. Ce prince d’exception est parfaitement apparié à la Pamina d’Anaïs Constans, soprano plein de sève et de rondeurs, montrant elle aussi dans le chant la finition d’une authentique mozartienne.

Noblesse, agilité, esprit

Outre l’impeccable percussion de la vocalise, Serenad Uyar offre à sa superbe Reine de la nuit les tourments inquiets d’un médium aux reflets d’ambre. Et si l’on a entendu des Sarastro au grave plus opulent, celui de Luigi De Donato allie à la précision du mot une souveraine noblesse dans le phrasé. Quant à Philippe Estèphe, certes pas la voix la plus corsée, il triomphe par son agilité et son esprit, à la fois dans l’art du chant et dans celui du comédien – et quel beau couple forme ce Papageno avec la Papagena de la sculpturale Céline Laborie, joli brin de soprano avec ce qu’il faut d’espièglerie ! Trio de dames impeccable (Andreea Soare, Irina Sherazadishvili, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur) et enfants de la maîtrise du Capitole très bien préparés – mais les trois de sexe féminin : les jeunes garçons ne chantent donc plus en 2021 ?

C’est le sang de Mozart qui coule dans la fosse, grâce à la direction de Frank Beermann. Ce chef au métier imparable ne néglige aucun détail, fait avancer le discours avec une totale liberté, mais aussi des variations d’intensité et d’allure qui épousent les péripéties de l’opéra. Quant à l’Orchestre du Capitole, même dans cet effectif chambriste qui ne pardonne rien, il offre un festin de saveurs (ces bois !) dont bien peu de formations françaises sont aujourd’hui capables.

La Flûte enchantée de Mozart. Toulouse, Théâtre du Capitole, le 22 décembre. Prochaines représentations jusqu’au 30 décembre.

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