Premier opéra du compositeur danois Hans AbrahamsenLa Reine des Neiges connaît un franc succès : dans le cadre du Festival Musica, l'Opéra du Rhin propose déjà la troisième production depuis la création de l’œuvre en langue danoise à Copenhague en 2019. Présentée ici en anglais pour sa création française (comme à Munich lors de la deuxième production), la version du tandem Bonas/Pont séduit par son minimalisme et sa féérie évocatrice mais jamais mièvre.

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La Reine des neiges à l'Opéra du Rhin
© Klara Beck

Si cette Reine des neiges est une première inédite, on retrouve dans la mise en scène un certain nombre d’aspects similaires à la dernière production de L’Heure espagnole de Ravel à l’Opéra de Lyon, imaginée par la même équipe : James Bonas et Grégoire Pont ainsi que Thibault Vancraenenbroeck aux costumes et à la scénographie. Les quatre-vingt-six musiciens de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg sont, comme à Lyon, placés derrière l’écran-rideau servant aux animations vidéo. Ce choix découle d'une raison technique (manque de place dans la fosse de l’Opéra du Rhin qui ne peut pas accueillir autant de musiciens), mais l’effet de profondeur spatiale et sonore n’en demeure pas moins saisissant, conférant à l’orchestre une place de choix dans le dispositif scénique. On perçoit à peine les musiciens, seul le chef demeure éclairé, ce qui renforce le mystère émanant de la musique d’Abrahamsen, où chaque élément est plus souvent suggéré que démontré.

Reprenant le conte d’Andersen, La Reine des neiges raconte le voyage initiatique de Gerda, partie à la recherche de son ami Kay, qui rencontre sur sa route une quantité de personnages qui la guident dans sa quête. Évitant l'écueil d'un dispositif trop lourd qui viendrait brouiller le spectateur, les éléments de mise en scène sont réduits au strict minimum. Hormis des costumes très travaillés pour les deux corneilles noires et la Reine des neiges en blanc, seul un petit rectangle mobile descend sous le plateau, entre les scènes, et remonte avec les quelques éléments de décor ainsi qu’avec certains personnages concernés. Ce dépouillement paraîtrait néanmoins léger si les animations, tantôt figuratives, tantôt abstraites (superbe aurore boréale à l’acte III) de Grégoire Pont ne venaient pas habiller la scène entre l’orchestre et les chanteurs.

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La Reine des neiges à l'Opéra du Rhin
© Klara Beck

La musique d’Abrahamsen constitue en soi une force expressive puissante quoique très subtile. Le compositeur cultive une écriture accessible pour l’auditeur (où l'on oscille entre une certaine transparence ravélienne et des mouvements cycliques rappelant les musiques minimalistes) mais d’une complexité sans nom pour les interprètes. Les chanteurs ne peuvent pas s’appuyer sur de quelconques repères rythmiques ou harmoniques : Abrahamsen allège le plus possible les textures en ôtant par exemple les lignes de basse, tandis que les incessants changements de mesure et l’autonomie des différents instruments obligent, au moment central de la tombée des flocons de neiges, à engager un deuxième chef – qui dirige alors à droite du chef principal avec une autre battue ! Robert Houssart, qui assura la création en 2019, mène ses troupes avec un geste clair et net, ne laissant place à aucune hésitation : les plans sonores, toujours très délicats, sont équilibrés et les textures parfaitement restituées.

La réussite de cette production tient donc autant à la mise en scène simple et poétique qu’à la solidité de la distribution dans une partition plus qu’exigeante. Fait marquant, des personnages féminins sont interprétés par des voix masculines et inversement, participant de l’ambiguïté des protagonistes et ouvrant toutes les interprétations possibles. Gerda est incarnée par la soprano Lauren Snouffer aux aigus naturels et limpides et à la présence scénique très physique, galopant sur tout le plateau à la recherche de Kay. Le contre-ténor Théophile Alexandre impressionne également en corneille au jeu fin et à la projection parfaite, jamais forcée. Légère déception du côté du rôle-titre, attribué à la basse David Leigh qui manque de définition et d’autorité.

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La Reine des neiges à l'Opéra du Rhin
© Klara Beck

Tant d’éléments musicaux, de par l’orchestration savante et épurée d’Abrahamsen, et scéniques mériteraient encore d’être soulignés ici, signe de la belle vitalité de cette production d’un opéra (très) contemporain qui a encore beaucoup à dire et montrer. On ne pouvait pas rêver mieux pour une ouverture de saison lyrique placée sous le signe des histoires et de l’universalité des contes.

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