Au Théâtre du Capitole, une Force du destin abrégée – mais ô combien enthousiasmante !

Xl_catherine_hunold_et_roberto_scandiuzzi_dans_la_force_du_dsetin_au_th__tre_du_capitole © David Herrero

En octobre dernier, nous avions quitté pour la dernière fois le Théâtre du Capitole après une mémorable Pénélope de Fauré dans laquelle Catherine Hunold avait conquis les cœurs dans le rôle-titre. Et c’est avec cette même grande artiste, la meilleure soprano dramatique française de notre époque, que nous assistons au spectacle de « réouverture », une Force du destin de Giuseppe Verdi exécutée en « format Covid », en deux heures sans entracte (contre les 3h30 que dure normalement la partition) et en version de concert, la mise en scène de feu Nicolas Joël passant également à la trappe. Mais ne boudons pas notre plaisir ! Même si ce best of peut déconcerter en début de représentation (les airs s’enchaînent au détriment de toute vérité dramatique, on passe par exemple directement de l'Ouverture à l'acte II !), l’excellence de l’interprétation a vite fait de dissiper les inquiétudes, et c’est par une incroyable ovation debout que s’achève la soirée !

Sans chauvinisme aucun, ce succès repose pour beaucoup sur la première Leonora de Catherine Hunold. La soprano confirme la place éminente qu’elle occupe autant dans le répertoire wagnérien (dans lequel nous l’avons le plus entendue) que dans la tessiture de lirico-spinto verdien dans lequel elle fait des débuts fracassants. Si la technique du son filato (indispensable dans cet ouvrage) peut encore être améliorée, les aigus sont ici parfaitement émis piani comme le veulent ses deux grandes arias et c’est un parcours sans faute pour le reste : voix saine, puissante, rayonnante, doublée d’une intensité dans l’accent qui fait passer le frisson. Le moindre mot, la moindre inflexion (dans un italien parfait !) fait sens, et s’inscrit dans la psychologie du personnage qui ouvre et termine ici la représentation. Un pari tenu haut la main pour elle !

Face à elle, aucun de ses collègues ne démérite, à commencer par le Don Alvaro du ténor franco-tunisien Amadi Lagha qui renouvelle le choc de son Calaf toulonnais il y a deux ans. En plus de posséder un timbre particulièrement flatteur, il offre un organe parmi les plus puissants que nous ayons jamais entendus, avec des aigus d’une incroyable insolence, sans obérer la ligne de chant, et il nous prouve dans son fameux air « La vita è inferno all’infelice » qu’il est aussi capable de nuances et de demi-teintes. De son côté, le baryton albanais Gezim Myshketa confirme aussi tous les espoirs qu’il a su susciter en nous (comme tout dernièrement dans le rôle du père de Luisa Miller à l’Opéra de Marseille), et son Don Carlo s’avère un modèle d’élégance et de beau chant, avec la noirceur de timbre et le mordant dans l’émission que requiert son personnage.
Révélation pour le public toulousain (mais pas pour nous qui l’avons applaudie tant de fois à l’Opera Ballet de Flandre où elle était en troupe ces dernières années), la mezzo étasunienne Raehann Bryce-Davis ne fait qu’une bouchée de la pétulante Preziosilla, à laquelle elle offre ses aigus fulgurants et son registre grave fermement assis. Le vétéran italien Roberto Scandiuzzi voit son rôle du Marquis de Calatrava supprimé dans cette version écourtée, mais il a l’occasion de donner toute la mesure de son immense talent dans celui du Padre Guardiano, auquel il prête une dignité mémorable, avec un grave d’une rare opulence, tandis que son compatriote Sergio Vitale campe un Fra Melitone au punch vocal bienvenu.

En fosse, l’excellent chef italien Paolo Arrivabeni trouve la clé du chef d’œuvre de Verdi, à savoir l’équilibre des registres, exploit encore plus impressionnant dans une version aussi morcelée. Urgente autant que ciselée, sa direction prend appui sur la pâte sonore, dense et flamboyante d’un Orchestre National du Capitole de Toulouse à son meilleur. À noter, en guise de conclusion, que les chanceux qui ont pris une place en matinée (les 23 et 30 mai) ont eu (auront) droit à une heure de musique supplémentaire, soit une version (quasi) complète du chef d’œuvre de Verdi !

Emmanuel Andrieu

La Force du destin de Giuseppe Verdi au Théâtre du Capitole, le 28 mai 2021

Crédit photographique © David Herrero 

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