Cosi fan tutte et tutti à Toulouse
Créée au Festival de Drottningholm en 2017, cette production fut également présentée dans le cadre de la trilogie Mozart-da Ponte à l’Opéra de Versailles (retrouvez-en nos comptes-rendus)
En invitant cette version déjà établie de Cosi fan tutte, Christophe Ghristi, Directeur du Théâtre du Capitole, parvient ainsi à conserver le quatuor vocal initialement engagé pour les Pêcheurs de perles, complétant heureusement la distribution pour les rôles de Dorabella et de Despina, par respectivement Julie Boulianne et la toute jeune soprano Sandrine Buendia. Ivan Alexandre et Antoine Fontaine, créateur des décors et costumes, utilisent le principe bien connu du « théâtre dans le théâtre ». Des tréteaux occupent la scène et mobilisent majoritairement l’action avec le recours à de multiples rideaux et tentures qui délimitent et viennent circonscrire les différentes scènes. Dans cet univers méditerranéen, le jeu de cartes participe aussi de l’action, avec ses enjeux, ses interrogations et ses incertitudes. Le public est ainsi projeté au sein d’un jeu global un rien pervers, où les hommes n’ont rien à envier aux femmes en la matière.
Qui est qui et qui s’accorde à qui ? L’affrontement physique qui oppose à la fin de l’opéra Ferrando à son compère Guglielmo en constitue le meilleur exemple. L’omniprésence du faux sage Don Alfonso et la rouerie permanente de la servante Despina, eux-mêmes non épargnés, viennent réaffirmer ce principe. Sous des dehors joyeux et malgré un rythme toujours dynamique et soutenu, voire festif, ce spectacle n’engendre pas vraiment l’optimisme pour l’avenir de ces jeunes couples. Dommage que l’émotion, l’exploration des sentiments, apparaissent ici un peu gommés, relégués à un second plan.
Mais au plan musical, le bonheur le plus vif appartient à la direction d’orchestre de Speranza Scappucci. La Directrice musicale de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège sollicite le meilleur (les cordes, la clarinette) de l’Orchestre national du Capitole, mettant justement en relief les instrumentistes, explorant toutes les ressources de cette belle phalange. Les tempi sont vifs, la vision toujours allante. La musique de Mozart se pare de tous ses reliefs. Le Chœur du Capitole, placé dans les loges d’avant-scène et au paradis, rayonne de précision et du bonheur de retrouver son public.
Dans le rôle très exigeant de Fiordiligi, l’excellente musicienne et styliste, Anne-Catherine Gillet semble un peu trop contrainte. L’aigu est sûr, épanoui mais le grave trop sourd. Pour autant, en cantatrice habile et belle technicienne, elle ne tente à aucun moment de forcer ses moyens de soprano lyrique. Le rôle demande cependant une autre amplitude, des couleurs plus affirmées pour lui conférer tout son relief.
À ses côtés, Julie Boulianne fait valoir en Dorabella un mezzo précis et nuancé qui de fait s’harmonise globalement avec la voix de sa partenaire. Sandrine Buendia donne un relief affirmé au rôle de Despina. Virevoltante et charmante en scène, elle fait sonner une jolie voix de soprano qui ne demande qu’à s’épanouir. Les quelques envolées vers l’aigu dessinent déjà le futur. Elle incarnera cette saison Jenny de La Dame Blanche dans plusieurs théâtres de l’hexagone.
Mathias Vidal, qui devait chanter Platée en milieu de saison dernière, ne paraît pas à son meilleur en Ferrando. Son tempérament, ses facilités scéniques si souvent et justement soulignées, viennent dans ce rôle heurter la ligne vocale, le legato mozartien et toute la suavité ici attendus. En Guglielmo, Alexandre Duhamel se libère complètement au deuxième acte avec une assurance, une acuité vocale qui donne toute sa personnalité au personnage.
Le baryton-basse Jean-Fernand Setti s’empare du rôle d’Alfonso avec délectation et une grande présence scénique. Le timbre puissamment timbré, la largeur même de la voix, un aigu affirmé, lui ouvrent de réelles perspectives. En novembre, il incarnera déjà le Monstre de Frankenstein à l’Opéra de Metz, puis Escamillo à l’Opéra de Bordeaux en juin 2021.
Et en termes d'adaptation, le Théâtre du Capitole à Toulouse à montré l'exemple en cette année tragique, encore à plusieurs reprises et même juste avant le lever du rideau pour les deux dernières représentations de ce spectacle. Même lorsque le Covid déclenche plusieurs cas contact dans l'orchestre pour l'avant-dernière représentation, qu'à cela ne tienne la maestra Speranza Scappucci (qui faisait avec cette production ses débuts toulousains) s'est mise elle-même au pianoforte pour accompagner les récitatifs et sauver la soirée (avec Robert Gonnella, directeur des études musicales, jouant la partie d’orchestre au piano). Voici la vidéo de cette version unique :
Le Théâtre du Capitole affiche pour le déconfinement une saison lyrique particulièrement alléchante et propice aux intenses bonheurs musicaux dont Ôlyrix rendra bien entendu régulièrement compte.