Après plus de sept mois de fermeture, le Théâtre du Capitole rouvre ses portes au public pour une première bien particulière. Une première de l’envie tout d’abord : une envie de retrouvailles des musiciens et du public, de réouverture des lieux de divertissement et surtout de penser à autre chose. Mais aussi une première marquée par la situation sanitaire : exit Les Pêcheurs de perles de Georges Bizet, initialement programmés, et place à Così fan tutte de Mozart. Comme l’indique Christophe Ghristi dans sa prise de parole initiale, l’œuvre de 1790 réclamait moins de musiciens dans la fosse, permettant ainsi de respecter les mesures sanitaires. Le chœur du Capitole, lui, est placé au balcon et au paradis « en distanciation ». Le plateau initial est maintenu, augmenté même, et la direction est confiée à la cheffe italienne Speranza Scappucci, spécialiste de l’œuvre, qui fait ainsi ses débuts toulousains. L’opéra, donné pour la dernière fois il y a plus de quinze ans sur les planches du Capitole, est repris dans une production de 2017 du Slottsteater de Drottningholm.

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Così fan tutte au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

La mise en scène d’Ivan Alexandre propose un jeu de mise en abyme, les chanteurs discutant sur scène rideau ouvert pendant l’installation du public et se chamaillant déjà en jouant aux cartes. Si les drapés permettent, avec certaines limites, d’incarner les changements de scènes et de décors, l’essentiel réside dans le jeu scénique des artistes. Comiques sans virer toutefois au vaudeville, les mimiques des uns et des autres font l’essentiel de la production mais aussi du détachement voulu par la mise en scène. Ainsi, le vrai/faux évanouissement de Fiordiligi (Anne-Catherine Gillet) que Julie Boulianne (Dorabella) commente en-dehors de son rôle (« elle fait tout le temps ça ») alors que Jean-Fernand Setti (alias Don Alfonso) demande du doliprane à la salle, participe à la dynamique.

Les costumes (Antoine Fontaine) viennent renforcer cet équilibre, illustrant à merveille le travestissement des deux comparses de Don Alfonso, Ferrando (Mathias Vidal) et Guglielmo (Alexandre Duhamel). La palme revient sans doute aux rôles de Despina (Sandrine Buendia) incarnant tour à tour un médecin dont la blouse est couverte de sang ou un magistrat à la perruque bien trop longue. Initialement ce sont les deux hommes qui regardent sur leurs chaises leurs fiancées évoluer sur le petit théâtre, chacune dans leurs bulles intérieures, loin de se douter de ce que ces derniers manigancent. Mais à la fin, ce sont ces dames qui sont devant le théâtre dans le théâtre, à regarder les deux s'empêtrer dans leurs propres plans. Ce jeu permanent de renversement, d’échanges – symboliques ou concrets – contribue au comique de la pièce.

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Così fan tutte au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Sur le plan musical, la direction de Speranza Scappucci joue subtilement, dès l’ouverture, sur l’alternance entre accords tragiques forte et douceur naïve des mélodies. Une petite citation du Voi che sapete au clavecin, quelques arrêts non écrits pour permettre une saynète ou un mime des ornementations vocales ou instrumentales renforcent la dynamique comique et la mise en abyme de la production. La direction à distance du chœur se déroule sans problème. Le chœur militaire est par exemple exécuté avec force mais sans grossièreté aucune. Le plateau vocal est très équilibré, chacun réservant sa puissance pour les soli, tous applaudis par la salle. Don Alfonso est placé au centre de la pièce – car omniprésent sur scène même lorsqu’il n’intervient pas – et dans ce rôle Jean-Fernand Setti reste sobre vocalement et scéniquement, tel un deus ex machina. Mathias Vidal et Alexandre Duhamel suivent la psychologie de leurs personnages de Guglielmo et Ferrando, l’un plutôt romantique et lyrique, en retrait vocalement jusqu’à sa vengeance finale ; l’autre plus bonhomme et puissant. Sandrine Buendia en Despina est éclatante par sa voix mais aussi quand elle la transforme pour jouer d’autres personnages ou représenter ses émotions. Enfin le duo constitué par Anne-Catherine Gillet et Julie Boulianne est plus inégal. Le message en tout cas est délivré sans excès : « heureux celui qui prend les choses du bon côté […] et trouve la sérénité au milieu des tourments de la vie ».

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Così fan tutte au Théâtre du Capitole
© Mirco Magliocca

Le livret, aux apparences légères, ne cesse d’étonner par sa contemporanéité sur certains questionnements sociaux. Si la constance des femmes est questionnée dans l’œuvre, ce sont surtout les hommes qui font tout pour les pousser à la faute à l’aide d’artifices manipulateurs. Les choses ont-elles véritablement changé ? Un élément de réponse positif peut-être avec la direction de l’orchestre par Speranza Scappucci, même si cela nous rappelle que la vapeur est loin de s’être totalement inversée et que la parité est bien loin d’être atteinte à ce poste ! Il aura donc fallu attendre plus de 200 ans avant de voir une femme conduire un orchestre au Capitole. Concernant la production, ce retour à la simplicité classique, visible tant dans l’effectif que dans le livret, fait du bien, beaucoup de bien. Loin de proclamer un retour en arrière, cette première, malgré les conditions particulières de sa tenue, se tourne vers un avenir qui garde le meilleur de notre passé. Espérons que cela dure !

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