Créée fin 2019 à Amsterdam (De Nationale Opera), la mise en scène de Laurent Pelly pour La Cenerentola de Rossini ouvre la saison du Grand Théâtre de Genève, à la place – Covid-19 oblige – de Turandot envisagée initialement. Les mesures sanitaires mises en place au cours de la soirée commencent à entrer dans nos nouvelles habitudes : masque pour les spectateurs lors de tout déplacement et port facultatif une fois assis, musiciens (hors instruments à vent…) et chef masqués en fosse, mais pas vraiment de distanciation sociale sur scène.

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La Cenerentola mise en scène par Laurent Pelly au Grand Théâtre de Genève
© Carole Parodi

Si les réalisations visuelles conçues par Laurent Pelly pour certains titres du répertoire serio ne font pas toujours l’unanimité, le metteur en scène est reconnu depuis de nombreuses années comme un maître absolu dans le registre buffo. Cette Cenerentola est une nouvelle réussite, chargée d’un humour au trait pas trop épais et qui parvient aussi à dégager une vraie émotion. La scénographie de Chantal Thomas s’ouvre sur un vaste volume au papier peint bleu-vert, puis des plateaux glissent transversalement sur scène, chacun figurant une pièce de la maison de Don Magnifico : Clorinda dans sa chambre, Tisbè dans la salle de bain avec baignoire, le vestibule au fond, le salon, la cuisine, la buanderie où Angelina lance des lavages sur les deux machines (on imagine qu’il en faut une pour chaque terrible demi-sœur, afin de ne surtout pas mélanger leurs habits…). Tout vire au rose ensuite chez le prince Ramiro, des perruques aux éléments de décors peints qui descendent des cintres : lustres, chandeliers, miroir, jusqu’aux bouteilles et flacons de vin dans la cave.

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La Cenerentola mise en scène par Laurent Pelly au Grand Théâtre de Genève
© Carole Parodi

Le traitement du rôle principal est particulier et le prince Ramiro a bien du mérite à détecter la beauté et la bonté chez sa future femme, tant celle-ci est mal fagotée de la tête aux pieds. Angelina est une femme de ménage accompagnée de son balai et de son seau, portant de grosses lunettes à verre épais, une blouse bleue à carreaux sur une autre de couleur orange à motifs fleuris, des collants, chaussettes, baskets. Elle passe le chiffon partout, parfois frénétiquement, ne peut même s’empêcher d’astiquer le carrosse qu’Alidoro fait apparaître, après que celui-ci s’est transformé de mendiant en chef d’orchestre qui bat la mesure. Angelina émeut plus d’une fois, comme lorsqu’elle se trouve au pied d’une machine à laver sous la menace de Don Magnifico, quand elle bondit de joie plus tard, de plus en plus haut, assise sur le canapé en réalisant que le prince veut l’épouser, ou bien dans la scène finale où Cenerentola n’apparaît pas dans ses habituels habits de lumière, mais reste femme de ménage, au tablier bleu cette fois très sale. Avant cela, sa métamorphose pour aller au bal du prince nous donne davantage l’image de la Reine de la Nuit mozartienne, une dame habillée et voilée de noir et gris, sortant d’une armoire au fond de ciel étoilé.

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La Cenerentola mise en scène par Laurent Pelly au Grand Théâtre de Genève
© Carole Parodi

Vocalement, c’est le rôle-titre défendu par Anna Goryachova qui domine une distribution globalement de très bonne tenue. La mezzo fait entendre une voix agréable, capable de projection sur certaines notes enflées, instrument souple aux vocalises parfaitement en place, jusqu’à son rondo final particulièrement brillant. Edgardo Rocha, qui s’est produit de nombreuses fois en Don Ramiro, en particulier aux côtés de Cecilia Bartoli, est un ténor typiquement rossinien, volume assez léger mais un son bien concentré lors de ses extensions vers l’aigu, où les notes sont précises, vigoureuses et tenues. Tout juste remarque-t-on ce soir que la vocalise ne semble pas aussi huilée que d’ordinaire, mais son air de l'acte II « Si, ritrovarla io giuro » reste un grand moment de bravoure, aux aigus vainqueurs. Dès son premier air où il émerge du canapé devant la télévision éteinte, Carlo Lepore incarne un idéal Don Magnifico : la voix est celle d’une basse très profonde, volumineuse, le chant sillabato est un régal et il est doté d’une vis comica sans en faire des tonnes. Simone del Savio en Dandini fait entendre un très beau grain de voix de baryton, à la puissance mesurée, plus à l’aise dans le registre aigu que sur les notes les plus graves du rôle, le chant d’agilité étant par ailleurs plutôt convaincant. Simone Alberghini en Alidoro n’amène pas les mêmes satisfactions, la voix semble souvent serrée et peine à s’épanouir avec plénitude, tandis que Marie Lys (Clorinda) et Elena Guseva (Tisbè) caractérisent au mieux les deux affreuses demi-sœurs.

Il faut remercier enfin Antonino Fogliani, chef rossinien reconnu, et directeur musical du festival Rossini de Bad Wildbad depuis 2011. Sa direction de l’ouverture démarre avec délicatesse, puis elle marque avec netteté des accélérations pour les passages plus rapides. Le tourbillon rossinien souffle plus d’une fois au cours de la soirée, les musiciens sont à l’unisson, ainsi que les choristes masculins sur scène.

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