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Saison du Grand Théâtre«La Cenerentola», ou l’illusion d’une vie en rose

La mezzo-soprano Anna Goryachova, incarnant Angelina, aux côtés du ténor Edgardo Rocha, en Don Ramiro.

Au prologue comme à l’épilogue, voici une silhouette menue, seau d’eau à ses pieds, balai serpillière entre les mains, perdue dans la nudité désolante de la scène, le regard hagard. Elle, c’est Angelina, cette Cendrillon que Rossini a façonnée en potassant le célèbre conte de Perrault. Son destin? Il est dans cette image attachante et piteuse à la fois, qui place le personnage aux antipodes du destin attendu. Au Grand Théâtre, à l’heure de l’ouverture de la saison, lundi soir, on a assisté à un petit tour de magie qui a métamorphosé la parabole édifiante déployée par le livret d’origine. Ici, pas de rachat pour la protagoniste, pas de réparations face aux injustices subies par des demi-sœurs et par un beau-père acariâtre. Pas de nouvelle vie non plus, aux côtés d’un prince charmant. La rédemption tant espérée s’avère être un simple rêve; une construction mentale qui se dissout aux dernières secondes du spectacle, avec la disparition soudaine des autres protagonistes. Que reste-t-il alors, sinon ce grand vide qui envahit scène et spectateurs?

Cette trouvaille, une parmi les dizaines qui colorent et pimentent cette production, porte la signature d’un metteur en scène, Laurent Pelly, et de son équipe fidèle – Chantal Thomas à la scénographie et Jean-Jacques Delmotte à la coréalisation des costumes – que Genève retrouve régulièrement et avec bonheur. Le Français fait une fois encore preuve de sa virtuosité dans la maîtrise des rythmes, il affiche une sensibilité jubilatoire dans le registre du comique et manie avec une discrétion piquante le langage des stridences. Ses mouvements chorégraphiés, si présents, des personnages, irriguent d’un humour rafraîchissant la trame. Les décors eux – miroirs, lustres, tables garnies et autres accessoires en format géant – accompagnent avec subtilité l’illusion de Cendrillon. Leur couleur vire au rose à mesure que l’histoire d’amour se profile à l’horizon de Cendrillon. Mais leur consistance, transparente, et leurs volumes… bidimensionnels, annoncent avec finesse les désillusions à venir.

La musicalité de la fosse

Bref, les yeux se régalent face à tant de maîtrise, renforcée par une direction de jeu soignée dans le moindre mouvement. Et les oreilles? Elles sont servies avec autant de bonheur. La fosse mériterait à elle seule une longue mention spéciale. La musicalité qui y règne, le soin apporté aux détails, la finesse et la clarté des phrasés, les tons pétillants et raffinés, ces quelques traits disent le travail accompli par Antonino Fogliani à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande. Un aboutissement qu’on cueille dès l’«Ouverture», qui révèle toutes ses trames soyeuses et son allant haletant.

La distribution, elle, est dominée par le timbre solaire et le port plein d’entrain d’Edgardo Rocha, un Don Ramiro percutant. Anna Goryachova est une Angelina puissante – un aigu prodigieux – qui peine à se déployer dans le premier acte, mais qui se délie et se bonifie jusqu’à plonger dans un final bouleversant. Saluons encore la précision et l’espièglerie des demi-sœurs Clorinda (Marie Lys conquérante) et Tisbe (Elena Guseva), mais aussi la belle tenue, malgré quelques décalages avec la fosse, de Simone Del Savio (Dandini) et la voix boisée – et un rien fatiguée – de Carlo Lepore, figure idéale pour porter le personnage de Don Magnifico.

«La Cenerentola», de Gioacchino Rossini, Grand Théâtre, jusqu’au 26 septembre. www.gtg.ch