Une Aïda seulement 4 étoiles à Naples

Xl_5373592_0752_21.21643760 © Teeatro di San Carlo

L’événement lyrique de l’été aurait sans doute dû être cette Aïda mise à l’affiche par le Festival de Peralada, avec rien moins que Sondra Radvanovsky dans le rôle-titre, Piotr Beczala en Radamès, Anita Rachvelishvili en Amnéris, et Carlos Alvarez en Amonasro. Las, le cours des choses en a voulu autrement et, à l’instar de toutes les grandes manifestations lyriques en France et au Royaume-Uni, l’Espagne a également annulé presque toutes les siennes. Seule l’Italie (aux côtés de l’Autriche) a conservé TOUS ses festivals lyriques (c’est bien connu et l’adage n’est ici pas usurpé, « Italian do it better »), et en a même imaginé de nouveaux ! Car l’on pouvait faire confiance à ce vieux briscard de l’art lyrique qu’est Stéphane Lissner pour faire le buzz, en créant ex nihilo un festival d’été au Teatro di San Carlo de Naples, où il vient d’être fraîchement promu et intronisé. Aux côtés d’une Tosca affichant Anna Netrebko dans le rôle-titre (lire ici notre compte-rendu), c’est cette même Aïda - aussi chère aux lyricophiles qu’adaptée aux représentations en plein air, - qu’il a eu l’idée de proposer aux Napolitains. Il confie au passage le rôle d’Amnéris à la soprano géorgienne Anita Rachvelishvili, finalement libérée de ses engagements, et par ailleurs sans rivale aujourd’hui dans le rôle. Il  a également invité le chanteur le plus médiatique et acclamé de la planète pour interpréter Radamès, le ténor allemand Jonas Kaufmann. Enfin, cerise sur le gâteau, la meilleure chanteuse napolitaine du moment se voit confier le rôle-titre, et ce n’est que justice d’entendre Anna Pirozzi sur ses propres terres dans un répertoire verdien où l’on sait qu’elle excelle (cf : son Abigaille à Monte-Carlo, parmi de nombreux exemples possibles...).

A contrario de la Tosca précitée, qui avait eu droit à une exécution semi-scénique, c’est devant leur pupitre que les protagonistes apparaissent les uns après les autres, d’où une urgence et une théâtralité qui seront absentes ce soir au regard du précédent titre. Autre « limite », la présence des micros – cette fois placés devant les chanteurs et non plus portatifs – s’est révélée encore plus problématique que dans Tosca, pénalisant toutes les tentatives de chanter piano et saturant au contraire les notes émises forte. Face à un tel dispositif, Anna Pirozzi s'avère la plus exposée, mais la beauté du timbre est bien là, et dès un « Ritorna vincitor ! » d’une force impressionnante, les graves n’ont jamais besoin d’être poitrinés. Plus pleinement encore que dans le célèbre « O patria mia », la voix s’épanouit dans les souples arabesques du grand duo avec son amant et le finale est magnifique. Mais comme chaque fois qu’elle apparaît, c’est Anita Rachvelishvili qui capte tous les projecteurs et vole la vedette à tous ses partenaires : la géorgienne déploie ici des ressources infinies avec son mezzo aux registres fondus et nourri par un grave abyssal. Et même devant un pupitre, on ne peut que rendre les armes devant son incarnation aussi impérieuse que tragique de la princesse égyptienne. Car Jonas Kaufmann n’apparaît pas dans une forme olympique, du moins dans son premier air « Celeste Aïda », où il semble bizarrement comme marcher sur des œufs... Mais que les fans se rassurent, il se reprend vite : sa couleur de voix irrésistible et sa puissance vocale (même si les aigus forte paraissent inhabituellement tendus) font opérer l'envoûtement dont il est coutumier. Bonne surprise et belle découverte pour nous que le baryton italien Claudio Sgura, qui offre à Amonasro une technique solide et un beau grain de voix, cuivré et mordant, et montre déjà une profonde intimité avec son personnage. Quant à la toujours excellente basse italienne Roberto Tagliavini, elle offre à Ramfis son timbre rond et sa voix superbement contrôlée, aux côtés d’un fruste Fabrizio Beggi dans le rôle du Roi.

Même si la sonorisation ne permet pas toujours de le percevoir avec immédiateté, la direction de l’excellent chef italien Michele Mariotti renonce à tout fracas superflu, en soulignant les sentiments contrastés et les effusions lyriques dont regorge la sublime partition de Giuseppe Verdi. Sobre et variée à la fois, sa baguette se caractérise également par sa cohérence d’ensemble. On avouera avoir attendu cette soirée avec plus d’impatience que Tosca, mais c’est pourtant ce dernier spectacle qui restera le plus marquant dans notre souvenir de ce premier festival d’été imaginé à la dernière minute par Stéphane Lissner... en espérant qu’il sera suivi par bien d’autres !?...

Emmanuel Andrieu

Aïda de Giuseppe Verdi sur la Piazza del Plebiscito (Teatro di San Carlo), les 28 et 30 juillet 2020

Crédit photographique © Teatro di San Carlo

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