Des voix à la fête dans Il Trovatore au Festival de Macerata

Xl_il_trovatore © Tabocchini Zanconi

Comme nous l’écrivions dans notre recension du spectacle, à quelques petits aménagements près, le Don Giovanni du Festival de Macerata a pu sortir sans encombre de la crise sanitaire que le monde traverse. Il n’en a pas été de même pour ce Trouvère mis en scène par Francisco Negrin pour l’édition 2013 du célèbre festival italien, et déjà repris en 2016. La direction d’acteurs, plus resserrée ici que dans Don Giovanni, s'accommodait mal aux contraintes actuelles, d’autant qu’Il Trovatore est un opéra où les corps-à-corps amoureux ou belliqueux sont très fréquents, en plus des nombreux épisodes de foule que recèle la partition, comme la scène des gitans. C’est donc en version de concert que le spectacle est donné, et sur seulement deux soirées au lieu des quatre initialement annoncées, mais au moins sans pupitre inopportun, et surtout avec des déplacements réglés avec goût pour donner un peu de corps au drame issu de la plume d’Antonio Garcia Guttiérrez – et mis en livret par Salvatore Cammarano pour Giuseppe Verdi

Qu’à cela ne tienne, nous avons du coup pu nous concentrer sur les voix et la musique qui offrent cependant ce soir des bonheurs divers. Le premier d’entre eux est de retrouver la jeune soprano sicilienne Roberta Mantegna – que nous avons rencontrée pour une interview à paraître bientôt dans ces colonnes –, et qui nous a déjà scotchés par deux fois et coup sur coup en 2018 : d’abord en remplacement de Carmen Giannattasio dans I Masnadieri à Monte-Carlo, puis trois mois plus tard à La Scala de Milan dans Il Pirata, en remplacement de Sonya Yoncheva – excusez du peu ! En décembre dernier, au Teatro Costanzi de Rome, elle avait confirmé toutes ces belles promesses dans des Vêpres siciliennes de haute volée (vocale), promesses réitérées ici sur le sublime plateau du Sferisterio de Macerata. Certes, certains aigus ne sont pas parfaitement stables, et les plus tendus paraissent parfois un rien acidulés, mais ce sont là d’infimes détails en regard de la noblesse de la ligne et de l’émotion qui se dégage d’un chant constamment investi, qualités rares chez une si jeune interprète. La soirée culmine dans un « D’amor sull’ali rosee » écouté dans un silence religieux : phrasés sur le souffle et lents trilles vertigineux, auxquels s’adjoignent des contrastes habilement négociés entre grâce et énergie, peuvent sans peine soutenir l’exemple avec les meilleures Leonora que nous ayons entendues sur scène…


Il Trovatore, Sferisterio 2020 (c) Tabocchini Zanconi


Il Trovatore, Sferisterio 2020 (c) Tabocchini Zanconi

Alléluia ! Son partenaire masculin, le ténor romain Luciano Ganci, n’est pas loin de susciter le même enthousiasme, tant chez votre serviteur que parmi le public qui lui offre, à juste titre, un beau triomphe au moment des saluts. Et ce que l’on apprécie avant tout chez lui, ce sont les nuances qu’il parvient à faire apparaître dans la partie de Manrico, d’usage plus musclé qu’introverti : le fameux air « Ah si ben mio » sur lequel tout le monde ou presque se casse le souffle est ici négocié avec un admirable art de la demi-teinte. Pour autant, le tonitruant et redoutable « Di quella pira » ne lui pose pas le moindre problème, et le métal autant que la clameur de trompette ici requis sont bel et bien présents. Quel bonheur également de voir le rôle d’Azucena distribué à une jeune chanteuse, en l’occurrence Veronica Simeoni (pour Sonia Ganassi initialement prévue, mais retenue pour cause de deuil), en lieu et place d’une interprète « sur le retour » comme c’est (trop) souvent le cas… La chanteuse italienne déploie de puissantes ressources de mezzo-soprano, avec un aigu ferme et un grave naturellement riche, doublé d’un art consommé de la dynamique expressive. Par ailleurs, sa formidable présence scénique lui permet de donner de son personnage un portrait ni banal ni vulgaire, et elle récolte elle aussi un véritable plébiscite auprès de l’audience. Qu’est-il arrivé, en revanche, à son compatriote Massimo Cavalletti ? On a le souvenir d’un Posa majestueux à Zurich, mais c’était il y a sept ans, et la captation vidéo des Masnadieri milanais que nous avons récemment chroniqués il y a peu ici-même laissait déjà planer le doute… En live, l’état de la voix se révèle catastrophique, avec un phrasé chaotique, des aigus rêches, des accents plein de vulgarité et des passages de registre laborieux... Les comprimari s’en tirent bien mieux, avec une mention pour le Ferrando de Davide Giangregorio (déjà Masetto dans la production du Don Giovanni précité) : il ouvre le feu (« All’erta ! All’erta ! ») avec une fermeté de ton, une netteté de diction et un sens du récit qui résonnent davantage que de simples promesses… Bravo à lui !

Las, la partie orchestrale laisse également un sentiment de frustration. Confiée au (tout) jeune chef italien Vincenzo Milletari (un élève de Riccardo Muti), la direction musicale se révèle sans souffle ni vision, précipitant les tempi moins par nécessité dramatique que pour complaire à un public toujours avide d’accélérations rythmiques. Malgré ces deux déceptions, du côté de la fosse et du baryton, nous n’avons pour autant pas boudé notre plaisir, et c’est la mine ravie que nous avons quitté l'une des scènes de plein air parmi les plus magiques au monde, aux côtés du Théâtre Antique d'Orange ou de la Seebühne de Bregenz !

Emmanuel Andrieu

Il Trovatore de Giuseppe Verdi au Sferisterio de Macerata, jusqu’au 1er août 2020

Crédit photographique © Tabocchini Zanconi

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