Au cœur de la saison lyrique du Théâtre du Capitole se trouve cette année l’œuvre phare de Richard Wagner, conclusion de toute une vie de compositeur. Le célèbre Parsifal était ainsi très attendu, d’autant plus qu’il offrait une production nouvelle et locale, proposée par l’Orchestre National, le Chœur et la Maîtrise du Capitole associés au Chœur de l’Opéra National de Montpellier-Occitanie, le tout mené par la mise en scène du Toulousain Aurélien Bory et la baguette de Frank Beermann.

La mise en scène se veut pensée comme un « spectacle d’ombres et de lumières », généreusement ouverte aux autres composantes du spectacle vivant dont les ficelles et l’aspect manuel restent volontairement apparents. La lumière (Arno Veyrat) représentant la pureté donnant accès au Graal constitue un leitmotiv de cette production. Ainsi la longue ouverture musicale est comblée par un filtre noir sur lequel viennent se poser une douzaine de néons qui forment tour à tour lettres, glyphes, symboles mathématiques, questionnant le spectateur. Même leçon pour l’ouverture de l’acte II avec des spots plus éblouissants alors que l’ouverture de l’acte III inverse les tonalités avec des jeux d’ombres mouvantes projetées sur un filtre gris.

Pour le reste, tout n’est qu’abstraction : la forêt des chevaliers est symbolisée par quelques rameaux, le Graal comme la Sainte Lance par la lumière. Une matrice centrale montrant d’abord le château des gardiens du Graal est utilisée en contrepoint central de l’opéra, donnant à voir les astres filants et la grande ourse lors de la rédemption de Parsifal. Lors de sa lutte contre le pêché de chair, des corps apparaissent sur le mur central, rythmant quelque peu la lente évolution psychologique des personnages. Les costumes (Manuela Agnesini) se font le relais du jeu de lumière, délaissant totalement l’aspect médiéval du livret. La mise en scène semble trouver un équilibre en accordant la primauté à la psychologie et la spiritualité au centre de cet opéra si particulier, sans toutefois basculer dans une proposition totalement abstraite qui n’aurait pas permis au public de résister à la longueur de l’œuvre. Pour cette première, Aurélien Bory s’attire cependant l'ire d’une partie des spectateurs qui le hueront copieusement lors de son apparition sur scène, ce que viendront contrebalancer des bravos tout aussi nombreux.

Nikolai Schukoff incarne parfaitement le parcours métaphysique de Parsifal, tant par sa technique vocale que par son jeu d’acteur : il passe du parfait innocent, presque benêt, au véritable initié et croyant après être passé par une souffrance tout aussi brute. Sa puissance vocale va décroissant, annonçant sa stabilité finale allant de pair avec l’acceptation de son destin et sa transformation physique : de simple coureur des bois errant, il se transforme quasiment en moine-soldat. Sophie Koch livre une Kundry justement tiraillée entre le bien et le mal, tantôt puissante et confiante, tantôt défaillante et en retrait d’un point de vue vocal. Seul l’acte II lui offre une ligne de bravoure qu’elle domine de bout en bout. La gestuelle est aussi pour beaucoup dans cette interprétation positive.

Peter Rose, très présent dans le livret et vocalement monstrueux est en revanche beaucoup plus statique, sans doute volontairement, dans son rôle de Gurnemanz. Sa voix cuivrée et basse sait se faire puissante ou chuchoter selon les rebondissements narratifs. Matthias Goerne (Amfortas) et Pierre-Yves Pruvot (Klingsor) jouent en accentuant deux aspects différents mais pertinents de leur personnage : le premier souligne le pathos de la témérité brisée, le second déploie la puissance vocale associée à la démesure de sa noirceur. Julien Véronèse, habitué des planches du Capitole, livre un Titurel tout à fait honorable, la partition ne lui laissant que quelques lignes et le décor le rendant pratiquement impossible à reconnaitre. Les six filles-fleurs sont mises en valeur par la scénographie de Pierre Dequivre alors que Klingsor fait danser les femmes sous son contrôle dans le but de détourner le héros de son droit chemin. Les chevaliers Kristofer Lundin et Yuri Kissin sont complètement dépassés, en début d’opéra, par l’orchestre jouant à pleins poumons. Ils ne deviennent audibles qu’à l’acte III lorsque l’orchestre devient minimaliste.

D’une manière générale, Frank Beermann aura conduit son orchestre de manière magistrale même si l’équilibre entre fosse et plateau s’est à plusieurs reprises étiolé. Si la production n'est certes pas parfaite, l’esprit et les principaux ressorts de l’œuvre sont parfaitement respectés, les longueurs occupées sans excès. Il faut bien dire que s’attaquer à une telle œuvre est un tour de force en soit ; on ne peut donc que suggérer au spectateur de faire sienne la maxime tant de fois répétée dans la pièce : « La compassion instruit ».

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