Pour le deuxième volet de la saison lyrique, le Théâtre du Capitole accueille les Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc, œuvre phare du répertoire des opéras français. La production proposée par Olivier Py à la mise en scène, coproduite par le Théâtre des Champs-Élysées et le Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles, avait déjà fait ses preuves en 2013, avec un autre plateau vocal. Les couleurs orchestrales sont confiées à Jean-François Verdier.

La mise en scène bénéficie d’une ambiance épurée, appuyée en cela par Pierre-André Weitz (décors et costumes) et Bertrand Killy (lumières). Les décors sont sobres, tout en nuances de gris, mais habilement combinatoires. On passe ainsi facilement d’un intérieur aristocratique (identifié par le seul lustre rutilant) à l’intérieur du couvent et des geôles ou à des extérieurs mystérieux. Les interludes musicaux sont souvent l’occasion pour Olivier Py d’illustrer des épisodes bibliques en rapport avec la narration. Les sœurs entre ainsi sur scène avec des décors en carton en forme d’ailes d’anges, de moutons et de colombe, représentant tour à tour l’Annonciation, la Nativité, etc. La référence la plus marquante est sans doute celle du dernier repas des coreligionnaires dans une version féminine de la Cène.

La colère et le contexte révolutionnaire qui guident la trajectoire de Blanche, largement invisibles dans l’œuvre, sont rappelés par la mise en scène. Le peuple en fureur apparaît ponctuellement, ici en ombre sous la forme d’une masse armée de fourches, là grâce aux chœurs venus de part et d’autre du parterre, donnant plus de corps à l’action. De même les murs accueillent les mots « liberté », « égalité » qui deviennent rapidement « liberté / égalité devant Dieu », comme pour rapprocher deux mondes opposés dans la pièce et dans les mémoires. Enfin, le divin est souvent rappelé avec de nombreux symboles (le décor qui s’ouvre en croix, la lumière plus pure à l’entrée du couvent, les étoiles accueillant la mort des sœurs) mais aussi des angles originaux de prise de vue : le décor vertical donnant l’impression de voir l’agonie de la prieure Madame de Croissy du dessus est en ce sens réussie. Ainsi ses reproches ne s’adressent pas tant à Dieu qu’au public...

Jusqu’ici, tout était agencé pour une belle représentation mais c’était compter sans la panne du surtitrage durant le premier acte, qui oblige Christophe Ghristi à apparaître sur scène à l’entracte. S’excusant de la gêne occasionnée et de l’impossibilité de faire redémarrer le système, le directeur rappelle non sans humour que le dispositif n’existait pas lors de la création de la pièce en 1957 – ce qui n'empêche pas quelques spectateurs égarés de huer pour le principe. La situation accentue toutefois certains aspects de la production. Anaïs Constans en Blanche de la Force est irréprochable tant dans la clarté de l’élocution que dans le jeu scénique, mettant en avant l’aspect désorienté de son personnage. Sa compagne d’infortune Jodie Devos, tout en puissance au premier acte, soigne habilement l'intelligibilité du texte à la reprise. Anaïk Morel en mère Marie de l’Incarnation acte par sa voix et son jeu le caractère rigide de son rôle.

Les personnages masculins ne déméritent pas non plus, en particulier Jean-François Lapointe (Marquis de la Force) et Vincent Ordonneau (aumônier) qui, en plus de leur ligne vocale, offrent une présence théâtrale notable. C’est également le cas du polyvalent – et excellent baryton – Jérôme Boutillier (domestique, médecin et geôlier) et de Thomas Bettinger (frère de Blanche) mais ces derniers sont malheureusement desservis par la puissance orchestrale excessive, encouragée par la direction de Jean-François Verdier. Ces quatre rôles apportent par leurs mimiques un peu d’humour dans un livret à la trame pesante et tragique.

En plus d’un équilibre précaire entre scène et fosse, certaines voix, du fait de leur tessiture mais aussi de leur articulation chaude et intérieure, peinent à rendre le texte français compréhensible : c’est le cas de Janina Baechle et Catherine Hunold, jouant les deux prieures qui se succèdent. En l’absence de surtitrage, c’est la double peine pour l'action dramatique et un ensemble pourtant brillant et bien pensé : les voix du Seigneur sont, parfois, non pas impénétrables, mais inintelligibles !

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