La rentrée lyrique du Théâtre du Capitole était attendue avec Norma de Vincenzo Bellini. Adaptation lyrique et musicale de la tragédie à succès d’Alexandre Soumet (1831), l’œuvre italienne fait la part belle au bel canto et se concentre sur trois acteurs essentiels. Avec une partition d’une exigence vocale certaine, tant dans les nuances que dans les lignes, cette rentrée s’annonçait tonitruante.

Le geste de Giampaolo Bisanti est très dirigiste, y compris pour le plateau. Le chef italien trouve un Chœur du Capitole savamment préparé et adapté à l’ensemble par Alfonso Caiani. Les premiers accords de l’ouverture donnent l’étalon de la soirée en termes de volume : ce sera forte, très forte. L’opposition de la flûte bucolique face aux cuivres martiaux réside surtout dans le timbre et non dans la nuance, même si elle laisse pourtant bien présager l’opposition des mondes et des paysages : romain et celte. Les décors (Abel Orain) laissent également peu de place au doute : ils se concentrent sur l’émotion et l’état d’esprit des protagonistes grâce à un paysage monolithique (doté d'un grand autel central) mais intelligemment combinatoire.

La divinité – ou le destin – est rappelée en filigrane tout au long de la pièce, de l’esprit d’apaisement de Norma jusqu’à sa colère et son sacrifice. Seuls quelques accessoires sont utilisés car mentionnés dans le texte pour leur pouvoir symbolique (l’épée de Brennus, le bronze du temple, la couronne de laurier). Le tout est agréablement servi par les lumières et les costumes (respectivement de Vinicio Cheli et Mine Vergez). L’ambiance globalement sombre et bleutée ne s’éclaire qu’en fin de deuxième acte pour terminer dans la lueur à peine orange du bûcher des condamnés. Le rôle d’acteur de Valentin Fruitier (Cerf blanc – Le Barde) proposé par la mise en scène d'Anne Delbée renforce le caractère fantastique de l’œuvre et éclaire l’intrigue de quelques oracles divins poétiques. Les quelques touches de bande sonore (pour l’orage) et de vidéo (les corps masculin et féminin désirés puis les enfants de Norma qui n’apparaissent pas sur scène) donnent une dimension supplémentaire à la psychologie de la pièce sans toutefois l’alourdir.

Outre la mise en avant des émotions offertes par le livret, c’est la performance vocale qui marque le public. Airam Hernández (Pollione) exprime son amour débordant pour Adalgisa dans une puissance rayonnante et constante, du medium au suraigu. Sa voix chevauche sans fléchir les lignes pourtant complexes exigées par la partition, ne se mettant en retrait que volontairement en fin de deuxième acte lorsqu’il se retrouve jugé. Le thème de la décadence, cher aux auteurs latins de l’Empire, est annoncé par Norma : « Rome doit mourir de ses propres vices ». Apparaissant de façon spectaculaire lors de l’assemblée des guerriers, Marina Rebeka montre une vaste palette vocale dans le rôle-titre, au-delà du bel canto consacré. Sa voix à elle seule suffit à asseoir sa présence et ses multiples révoltes. L’aria « Casta Diva » est en ce sens représentative : très forte, elle dégage néanmoins tout les affects présents dans la prière. Doublé d’un jeu scénique éloquent, l’interprétation est parfaite.

Karine Deshayes en Adalgisa se place dans la même veine. La partition lui offre certes moins de perspectives mais le duo du deuxième acte avec Norma montre deux protagonistes qui se complètent de façon exquise, l’une en noir, l’autre en blanc, unies contre la trahison et l’ignominie. Le trio est largement applaudi en cours d’opéra et inspire un enthousiasme rarement atteint au public toulousain. Bálint Szabó joue à bon escient la touche mystique en Oroveso, chef des druides et père de Norma. Clotilde (Andreea Soare) et Flavio (François Almuzara) sont plus en retrait.

La mise en scène et les chanteurs respectent ici l’exécution naturelle de l’époque pour une œuvre déjà en avance sur son temps : à rebrousse-poil des mœurs du XIXe siècle, c’est la Gauloise qui civilise le proconsul romain, c’est une femme qui incarne les valeurs de sacrifice face à l’hybris et à l’entêtement masculin. Dès lors, il n’y a pas besoin de forcer les choses pour que des échos contemporains surgissent de ce moment hors du temps. La prestation est ovationnée à sa juste mesure pour une rentrée sur les chapeaux de roue !

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