La création du nouvel opéra d’un compositeur majeur de notre temps est par définition un événement. Autant dire qu’on attendait beaucoup du Macbeth Underworld de Pascal Dusapin qui ouvre la nouvelle saison de La Monnaie.

Il est fortement indiqué de relire son Shakespeare (ou même de réécouter son Verdi) avant la représentation car l’approche qu’adopte l’écrivain Frédéric Boyer, auteur du livret, est de nous montrer un méta-Macbeth, l’action se situant dans un enfer où on n’est guère étonné de voir le couple diabolique aboutir après ses méfaits. Ils ne sont plus ces êtres sanglants follement assoiffés de pouvoir que nous croyions connaître mais errent, brisés et inconsolables, dans un monde souterrain d’une noirceur presque absolue. Ils auront sans doute l’éternité pour se repentir dans un oppressant et sombre décor – belle réussite signée Bruno de Lavenère – constitué de grands arbres noueux et sans feuilles, présentant des traces de sang, mais aussi d’un manoir décati et (forcément) hanté.

La principale métamorphose est celle de Lady Macbeth, incarnée par la soprano Sophie Marilley, au timbre clair et à la technique sûre. Le personnage n’est plus ici l’ambitieuse forcenée de Shakespeare mais une femme étonnamment tendre et amoureuse, de Macbeth mais également d'un enfant (très belle incarnation de la jeune Elyne Maillard) dont on ne sait pas très bien s’il est l’un de ceux, assassinés, de Macduff ou celui qu’a eu (ou cru avoir) Lady Macbeth elle-même. Quant au rôle-titre, il apparaît comme chez Shakespeare rongé par une folie insidieuse et destructrice, très bien rendue par Georg Nigl. Le baryton livre une interprétation véritablement habitée et vocalement irréprochable.

Le librettiste ajoute d’autres personnages de sa création, à commencer par un Spectre – l’imposant Kristinn Sigmundsson – qui représente les victimes de Macbeth et parcourt la scène, un poignard fiché dans le dos. On trouve aussi un superbe et inattendu trio de Weird Sisters, bizarres sœurs ordonnatrices du drame qui tiennent des sorcières de Shakespeare mais aussi des Trois Dames de La Flûte enchantée, et qu’incarnent remarquablement Ekaterina Lekhina, Lilly Jørstad et Christel Loetzsch. Dans le double rôle d’Hécate et du Portier, Graham Clark – un vrai ténor de caractère – apporte quelques rares moments de détente bienvenus.

La mise en scène d’une grande clarté de Thomas Jolly ordonne parfaitement l’action et traite au mieux un texte par moments assez verbeux mais surtout trop peu théâtral, l’impression étant plutôt d’entendre une suite de monologues qu’une véritable action scénique. On en arrive même à se demander si ce n’est pas une belle cantate qui nous est proposée ici.

La musique de Dusapin montre une fois de plus le talent du compositeur à écrire pour la voix et sa maîtrise de l’orchestre, tant dans le déchaînement expressionniste que dans d’inattendues interventions de l’orgue ou d’un très délicat archiluth. L’inspiration n’est en revanche pas toujours au même niveau de qualité et d’intensité durant les presque deux heures (sans entracte) que dure l’œuvre.

Enfin, on ne pourra que louer la brillante prestation d’Alain Altinoglu au pupitre. Totalement engagé à la tête du remarquable orchestre et du chœur de femmes de La Monnaie, le directeur musical de la maison bruxelloise livre une formidable interprétation d’une musique qu’il sert avec autant de maîtrise que de passion.

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