La Walkyrie à l’Opéra de Bordeaux : triomphe du chant wagnérien

- Publié le 19 mai 2019 à 16:27
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Spectacle minimaliste et anecdotique. Mais plateau évoluant sur les plus hautes cimes, soutenu par un orchestre en grande forme dirigé par Paul Daniel.

On n’ignore pas que l’auditorium de Bordeaux, dépourvu de cintres et de dégagements, offre un espace ingrat pour le théâtre. La vidéo y est alors souvent un pis-aller : cette nouvelle Walkyrie ne fait pas exception. Trois actes durant, les images de synthèse de Tal Rosner, dont les modulations sont censées épouser celles de la musique, défilent derrière les chanteurs – pour un fond d’écran d’ordinateur, ce serait parfait. Mais le procédé se révèle d’autant plus rébarbatif, qu’il fait écho au relatif statisme du jeu d’acteurs réglé par Julia Burbach. Composé de trois plans inclinés, le décor unique (Jon Bausor) n’est certes pas de ceux qui facilitent la fluidité des mouvements. Spectacle bas de gamme, en fait, plutôt simple mise en espace que véritable vision.

Et pourtant, la fièvre monte, car cet écrin minimaliste sertit quelques incarnations chauffées à blanc. Flatté par une formidable acoustique, le duo Sieglinde-Siegmund peut ainsi tourner au concours de cantabile. Elle, c’est Sarah Cambidge, soprano toutes voiles dehors, avec de l’or liquide dans la voix, phrasant ses emportements passionnels comme des airs de Mozart (la petite sœur de Nina Stemme, en somme : à suivre !). Lui, c’est Issachah Savage, ténor XXL, qui emplit tout le volume d’un timbre à la triple onctuosité, préservant un galbe d’esthète jusque dans ses éclats les plus héroïques (ses « Wälse ! » campés sur un souffle infini font trembler les murs).

Ces jumeaux magnifiques affrontent le Hunding abyssal, glaçant – et tout aussi idéal – de Stefan Kocan. Gare aux colères de Fricka, puisqu’Aude Extrémo brûle les planches, épouse outragée drapée dans les divines splendeurs de son opulent mezzo !

La Brünnhilde d’Ingela Brimberg n’en a cure : cette Walkyrie vole vers son triomphe avec des agilités d’elfe, fraîche comme une rose, décochant ses « Hojotoho ! » en un sourire, faisant rayonner un éclat féminin que rehausse un soupçon d’anxiété et d’érotisme mêlés. Malgré sa forte présence et les reflets de bronze de son avantageux baryton, seul Evgeny Nikitin semble un peu en retrait, souvent victime d’un rythme et d’une justesse erratiques. Il est rare, pourtant, qu’un plateau wagnérien évolue sur de si hautes cimes !

Victoire du chant, mais aussi de l’orchestre : le National Bordeaux Aquitaine, en parfait ordre de bataille sous la direction de Paul Daniel, confirme son excellente santé. L’orage liminaire tonne, les éclairs fusent, un courant continu traverse tout l’opéra. Et avec ça, une cohésion des textures chaleureuse, enluminée par quelques détails instrumentaux qui font descendre sur cette fosse tonique le saint esprit de la musique de chambre. Et maintenant, un Ring complet ?

La Walkyrie de Wagner. Bordeaux, auditorium, le 17 mai

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