Violetter Schnee de Beat Furrer : coup de blizzard à Berlin

- Publié le 4 février 2019 à 16:58
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Le nouvel opéra de Beat Furrer bénéficie d'une création luxueuse au Staatsoper Unter den Linden.

Puisque Donald Trump ne croit pas au réchauffement climatique, pourquoi pas une apocalypse glaciaire ? Celle entrevue par Pierre Brueghel l’Ancien avec ses Chasseurs dans la Neige, l’un des trésors du Musée des Beaux-Arts de Vienne. Toile de genre en apparence, où le regard attentif discerne vite les souffrances d’une humanité en fin de course. S’inspirant également d’une nouvelle de Vladimir Sorokin, le librettiste Klaus Händl, le compositeur Beat Furrer et le metteur en scène Claus Guth présentent en création mondiale à Berlin cette Neige violette dont la protagoniste, plongée par ses rêveries au cœur du tableau, croise la route d’un quintette de personnages alla Beckett, qui attendent la fin du monde comme d’autres Godot, entre un bunker dont les salons et les couloirs évoquent le manoir de Shining et la surface où rôde la mort entre les tourbillons du blizzard.

Trop de références, pas assez d’incarnation psychologique ni de concentration dramatique ? On n’est pas loin de le penser, d’autant que le rapport entre texte et musique souffre des défauts communs à ces opéras dont les géniteurs semblent n’avoir su ni épouser ni détourner la forme. Pourtant, mise en scène et partition regorgent d’une poésie qui emporte le spectateur de manière aussi irrésistible que la promeneuse du musée. Car Claus Guth, toujours adepte d’une direction d’acteurs plus sculpturale qu’extravertie, confronte avec un total à-propos les corps à l’élément neigeux insaisissable et insinuant, dans le dispositif scénique virtuose d’Etienne Pluss et les éclairages extraordinaires d’Olaf Freese. On sent sur la peau la piqûre du vent, dans les yeux l’éblouissement d’un soleil de glace, dans les muscles l’engourdissement d’un froid qui avale tout.

Et la musique de Furrer, surtout dans l’extraordinaire tableau final, possède le même pouvoir d’évocation sensualiste. Lequel n’étonne guère, de la part d’un des plus subtils héritiers d’Helmut Lachenmann dans le domaine de la musique instrumentale concrète, enrichie d’un art de la construction et du développement que ceux qui ont puisé aux mêmes sources oublient trop souvent. S’il est un peu sous-employé vocalement, le plateau de grand luxe (dont Anna Prohaska et Georg Nigl, mais aussi Elsa Dreisig à qui échoit l’une des plus belles pages de la soirée), placé ce soir sous la direction fluide et sensible du compositeur, répond admirablement à la délicatesse de l’écriture et s’investit avec passion dans ce cheminement vers l’aveuglante lumière de la fin des temps.

Violetter Schnee de Furrer. Berlin, Deutsches Staatsoper, le 31 janvier.

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