Lucrezia Borgia de Donizetti entre au répertoire du Théâtre du Capitole de Toulouse avec un plateau vocal et une mise en scène des plus prometteurs pour la première production de l’année 2019. Entre Venise et Ferrare, le compositeur italien propose une adaptation de l’œuvre éponyme à succès de Victor Hugo, conservant l’intrigue tout en l’adaptant au bel canto italien.

L’ouverture musicale accueille le public avec le cœur de l’intrigue : une image nébuleuse en noir et blanc, projetée sur un mur translucide par la vidéo, représentant une femme avec son enfant autour d’une maquette. Autrement dit : le rêve de Lucrezia Borgia qui ne s’accomplira jamais, comme semble le dire ironiquement la maquette qui apparaîtra sur scène au début de l’acte II. Mené par Giacomo Sagripanti, l’Orchestre National du Capitole varie les dimensions sonores, alternant musique de scène et musique de fosse alors que le carnaval se révèle au public. La profondeur est telle que les bruits naturels des pas des danseurs couvrent largement la ritournelle chantante de l’orchestre. Hormis ce détail initial, la direction de l’ensemble instrumental se synchronise parfaitement avec la mise en scène, apportant par la musique les touches colorées absentes – volontairement et à raison – du visuel.

La mise en scène d’Emilio Sagi alterne effectivement entre ombre et lumière. Des décors sobrissimes (Llorenç Corbella) étriquent ou élargissent les perspectives à merveille avec des blocs verticaux et des miroirs divisibles au plafond. On passe rapidement d'intérieur à extérieur en quatre panneaux seulement. Décors et costumes (Pepa Ojanguren) intemporels sont tout de noir, renforçant par là même la signifiance des rares objets : verres de vin, chaîne de pouvoir, poison, masques dissimulant les identités… Ils mettent également en avant les personnages, et notamment Lucrezia qui, d'une hermine discrète et blanche, passera par le noir docile de la femme malmenée par son époux, puis à la robe rouge dans l'acte II alors que le drame se précipite.

Familière de Donizetti et plus généralement de l'opéra italien, Annick Massis livre une interprétation brillante, sans jamais tomber dans la caricature du bel canto. D'une Lucrezia Borgia discrète à une femme révoltée contre le duc puis sombrant dans la folie à la mort de Gennaro, elle démontre l'amplitude de ses styles de jeu avec une gradation subtile et pertinente. Et quel Gennaro ! Et quel Duc de Ferrare ! Dans le triangle familial, ils ne déméritent pas par rapport à la soprano. Le public toulousain découvrait Merto Süngü : un ténor à la voix suave, équilibre parfait entre puissance brute et sentiments travaillés. Andreas Bauer Kanabas, outre sa basse irréprochable et toujours intelligible, impose un charisme assez remarquable sur scène.

C'est d'ailleurs bien là aussi la force du plateau : la présence scénique et la gestuelle, au-delà de la simple qualité des voix. La Lucrezia Borgia ne serait pas la même si elle ne renversait pas, révoltée, son époux de force sur le canapé de ses appartements. Assez faible et couverte dans les passages les plus graves, Eléonore Pancrazi se rattrape par un jeu intense et espiègle, notamment dans l'utilisation du travestissement de son rôle de Maffio Orsini, la mise en scène suggérant plus qu'un amour viril entre lui et son ami Gennaro. La dispute entre Rustiguello (Thomas Bettinger) et Astolfo (Laurent Labarbe), valets de madame et de monsieur prend son tour comique, tout comme les rires ironiques de Gubetta (Julien Véronèse) imités par l'orchestre. Le théâtre de Hugo n'est pas si loin. Frères d'armes de Gennaro, Livertotto (Galeano Salas), Vitellozzo (François Pardailhé) et Gazella (Jérémie Brocard) constituent un groupe plus hétérogène. Le chœur du Capitole, qui fournit d'ailleurs plusieurs solistes, est irréprochable.

Mise en scène, qualité du plateau vocal, du jeu scénique, des couleurs de l'orchestre : la réunion de tous ces éléments fait de cette production une réussite quasi-parfaite !

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