Ce n’est pas tous les jours qu’on peut assister à une représentation de Lohengrin dans la ville même où se passe l’action de l’œuvre de Wagner. Raison de plus pour un déplacement sur les bords de l’Escaut, pour voir ce que l’Opéra de Flandre a à offrir dans cette nouvelle production, déjà montrée à Gand avant d’arriver dans la métropole. 

Avant même le début de la représentation, Aviel Cahn, l’intendant de la maison flamande, est venu sur scène annoncer que non seulement la basse Thorsten Grümbel (initialement prévue dans le rôle du Roi Henri) a été remplacée par Goran Juric, mais encore que la soprano néerlandaise Barbara Haveman a dû être appelée le jour même pour remplacer Liene Kinca, malade, dans le rôle d’Elsa, raison pour laquelle l’indulgence du public est demandée.

A peine le rideau s’ouvre-t-il qu’on est surpris de découvrir des décors (Paul Steinberg) et costumes (Gideon Davey) qui, curieusement, rappellent fort ce que la Monnaie a montré plus tôt dans l’année à Bruxelles : sombre atmosphère largement inspirée de l’Allemagne vaincue de 1945, avec des immeubles gris foncé tout de guingois qui menacent ruine et dont on verra plus tard les étançons qui les soutiennent, choristes vêtus en prolétaires vaguement endimanchés, en vêtement terne et casquette, petits-bourgeois en costume étriqué et chapeau mou, soldats menaçants en uniforme kaki à la mode soviétique de l’époque. Plus tard, le metteur en scène David Alden offrira d’autres références à l’époque, comme une statue de cygne qui renvoie à l’aigle nazi. Au deuxième acte pendront des cintres des drapeaux rouge-blanc-noir avec en leur centre un cygne stylisé remplaçant la croix gammée. Quant à la vision du metteur en scène américain, certes moins fouillée et radicale que celle d’Olivier Py, elle se caractérise par une belle lisibilité et une direction d’acteurs vraiment réussie.

Voix ferme et belle présence scénique, l’excellent Vincenzo Neri fait une première intervention en héraut claudiquant, bras en écharpe et jambe prise dans un appareillage orthopédique. On peut ensuite apprécier le remarquable Henri l’Oiseleur de Goran Juric, impressionnant gabarit et véritable basse chantante. Bottines militaires, collants troués, vêtue d’une parka kaki par dessus une espèce de jupon blanc, Barbara Haveman offre dès ses premières notes une touchante incarnation d’Elsa. Dans un chant très pur, elle va magnifiquement illustrer l’évolution du personnage, de jeune princesse timide en femme forte et déterminée. L’arrivée de Lohengrin (sans son cygne) par l’arrière de la scène ne nous fait pas voir un chevalier en armure rutilante, mais nous amène un Zoran Todorovich, pieds nus, vêtu d’un costume blanc et coiffé d’un panama fatigué, ce qui lui donne un look playboy tropézien un peu curieux. Le chant du ténor serbe s’avère assez laborieux et son « Nie sollst du mich befragen » souffre d’un phrasé haché. Todorovich va cependant graduellement se reprendre au cours du deuxième acte. Et alors qu’Aviel Cahn est apparu une fois encore sur la scène pour annoncer avant le début du troisième acte que son Lohengrin, souffrant, a été vu par un médecin (qui a cependant donné le feu vert au chanteur pour terminer la représentation), Todorovich gratifie au dernier acte le public anversois de sa meilleure prestation de la soirée et d’un « Im fernen Land » très correct.

Dans le couple des mauvais, aveuglés par la soif d’un pouvoir envisagé comme une véritable jouissance, la palme va sans contestation à l’Ortrud incandescente d’Irène Theorin, véritablement déchaînée dans un « Entweihte Götter » fulgurant. On est plus réservé pour le Telramund de Craig Colclough, excellent acteur bien servi par une diction mordante et une voix au grain métallique, mais peu soucieux de beau chant. Toujours au deuxième acte, Alden a la curieuse idée de faire faire la toilette nuptiale d’Elsa par quatre femmes de ménage qui la bichonnent à grand renfort de peau de chamois.

La scène de la chambre nuptiale – cette fois-ci toute blanche et ornée d’une reproduction de la célèbre et assez kitsch fresque de August von Heckel qui orne la salle de séjour du château de Louis II de Bavière à Neuschwanstein – nous montre une Barbara Haveman s’affirmant peu à peu en exigeant de Lohengrin qu’il révèle son identité. Alors qu'elle est immédiatement consciente ensuite d’avoir causé son propre malheur, Todorovich offre un « Mein lieber Schwan » au phrasé soigné.

Très belle prestation des chœurs et de l’orchestre maison (beau travail du hautbois solo et des cuivres) et direction toujours claire, lisible et élégante d’un Alejo Pérez qui ne laisse jamais la tension fléchir. L’avenir s’annonce décidément bien pour le futur directeur musical de l’Opéra de Flandre.

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