Chroniques

par michel slama

La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante

opéra de Gioachino Rossini
Opéra national de Paris / Palais Garnier
- 10 juin 2017
une nouvelle production de La Cenerentola de Rossini à l'Opéra national de Paris
© vincent pontet | opéra national de paris

Dernière production de la saison 2016-2017, La Cenerentola de Gioachino Rossini a été confiée par Stéphane Lissner à Guillaume Gallienne dont c’est la première mise en scène d’opéra – « parce que c’est sur la famille, c’est drôle et c’est cruel », a précisé le Directeur Général de l’Opéra national de Paris, pour justifier le choix du Sociétaire de la Comédie Française. Dès lors, l’implication de l’acteur, metteur en scène et réalisateur ne fait plus de doute.

L’intrigue bourgeoise est transposée dans les quartiers pauvres de Naples. Du coup, tout l’opéra se joue dans la rue, avec de nombreux figurants, faisant la part belle à la Camorra. Gallienne théâtralise l’action en gommant progressivement tout le côté burlesque dont on avait la traditionnelle habitude. Les situations sont particulièrement cruelles, les demi-sœurs franchement infectes. Le parâtre est un scélérat veule et minable qui ne cesse de battre et d’humilier Angelina. Pour rendre plus crédible la passion du Prince pour sa pauvre Cendrillon mal attifée, Gallienne en fait un handicapé qui boîte et porte un dispositif de sangles orthopédiques sur l’une des jambes. Seuls deux freaks pourraient se plaire ? Dandini est, en revanche, un top model tout droit issu du Parrain de Coppola (The Godfather, 1972).

Le décor unique de son complice Éric Ruf est à l’avenant [lire notre chronique du 9 mai 2017], ruines d’un édifice religieux et de palais squattés. Le Vésuve est omniprésent par des cratères et gonflements de terrain. La filiation avec Cenerentola, la fille des cendres, devient limpide. La levée du décor révèle une cour du Prince totalement vide et dépouillée, à l’exception d’un escalier de chantier en métal. Gallienne soigne les moindres détails. Ainsi les hommes font-ils un tapis d’honneur de leurs vestes pour accueillir Cenerentola, transformée en mystérieuse princesse inconnue. À l’arrivée du faux Prince, l’une des sœurs éloigne ses nombreuses rivales avec un fusil, de la fenêtre de sa chambre. La troisième scène de l’Acte II, entre Don Magnifico et Dandini, ébauche une tournure de drague gay. Il est vrai que Magnifico croit un instant que le Prince pourrait l’épouser à la place de ses filles – « che volesse maritarsi con me ! » (serait-ce qu’il voudrait se marier avec moi !)

Mais Gallienne ne s’arrête pas là. Il convainc aussi le chef Ottavio Dantone de gommer la veine comique de la partition et d’ajouter une harpe de type celtique pour partager les récitatifs avec le traditionnel pianoforte et certains ensembles orchestraux… L’idée, qui surprend l’auditoire, semble venir de Philippe Jordan, le directeur musical de l’Opéra de Paris. Hélas, malgré le soin que Guillaume Gallienne développe à recréer cette Cenerentola, l’alchimie ne prend pas. Le spectateur est déconcerté, se pose trop de questions, regrette l’absence quasi totale de comédie. C’est à peine si l’on esquisse çà et là un sourire. D’autant qu’à la tête du Chœur et de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris la direction d’Ottavio Dantone reste trop policée, trop raisonnable et, décidément, sans l’humour et la fougue dont il peut être capable. La fameuse scène finale du premier acte, connue pour ses allitérations grotesques scandées par les protagonistes, ne réjouit personne et les tempi sont désespérément alanguis.

Côté chant, le choix s’est porté sur une jeune équipe de chanteurs peu connus. Teresa Iervolino campe une Cendrillon émouvante et bonne comédienne [lire nos chroniques du 12 avril 2015, ainsi que des 17 septembre et 28 octobre 2016]. Sûrement à cause du trac de la première, elle ne convainc qu’au deuxième acte. Elle semble hésiter et s’économiser dans la première partie. On l’entend à peine dans les ensembles. Les excellentes Chiara Skerath en Clorinda et Isabelle Druet en Tisbe lui volent la vedette par leur abattage et leur jeu aiguisé. La chanteuse romaine a pourtant un joli timbre de mezzo-soprano avec des graves aisés. Mais la confrontation avec les divas qui s’y sont illustrées est délicate.

Si le Ramiro de Juan José de León a des aigus faciles et très puissants, sa ligne de chant est hachée et parfois fâchée avec la justesse. Les arcanes complexes du rôle du Prince restent difficiles à assumer pour le jeune ténor américain. En Dandini, Alessio Arduini est certes très sexy. Malgré une jolie voix de baryton-basse bien timbrée, il rencontre lui aussi des difficultés pour vocaliser et dompter la partie complexe du valet qui prend la place de son prince. Maurizio Muraro, Don Magnifico, séduit un public enthousiaste par une belle basse-bouffe capable de faire rire et d’émouvoir. Présent sur toutes les scènes internationales, il chantera dans Benvenuto Cellini et Gianni Schicchi à Bastille, la saison prochaine.

Mais le grand triomphateur de la soirée reste Roberto Tagliavini qui campe un inquiétant Alidoro, deus ex machina à la voix d’airain. Son air unique, No ! Sublima il pensiero, déclenche une tempête d’applaudissements et une ovation bien méritée. Celui qui fut un excellent Escamillo dans la Carmen de Calixto Bieito présentée à Bastille cet hiver [lire notre chronique du 16 mars 2017] semble être très à son aise dans la musique du Cygne de Pesaro. Par la prestance et la beauté du chant, il fait d’Alidoro un personnage pivot de l’action.

Au bilan : une soirée contrastée dont on ressort dubitatif. Ne doutons pas qu’au fil des représentations, cette Cenerentola gagnera en qualité et en crédibilité.

MS