Critique – Opéra & Classique

Eugène Onéguine de Piotr Ilyitch Tchaïkovski

Anna Netrebko et Peter Mattei illuminent la reprise d’une production usée

 Eugène Onéguine de Piotr Ilyitch Tchaïkovski

Cette quatrième reprise d’une production née en 1996 sous la signature du metteur en scène allemand Willy Decker reste égale à elle-même dans son premier degré dénué d’imagination novatrice. Elle aura ainsi traversé les directions successives de l’institution, d’Hugues Gall à Stéphane Lissner en passant par Gérard Mortier et Nicolas Joël. Elle laisse toujours inoubliable la réalisation du Théâtre Bolchoï de Moscou par le trublion Dimitri Tcherniakov invitée par Mortier en ouverture de la saison 2008/2009.

On retrouve sans surprise les hauts panneaux latéraux du décor de Wolfgang Gussmann, passant d’acte en acte, selon les éclairages, du rouge au gris et au noir, et ce vide ondulé formant une sorte de désert en fond de scène. Le canapé rouge et les chaises sont toujours transportés par les choristes sur différents lieux de rencontres. Le gigantesque lustre de cristal descendant des cintres au troisième acte pour qualifier le luxe auquel a accédé la fantasque Tatiana continue de rompre la monotonie des décors précédents.

Reste donc pour la 36ème – et plus – représentation de cette production à se concentrer sur les interprètes. Une distribution de grand luxe avec, dans les rôles principaux, la diva russo-autrichienne Anna Netrebko et le divin baryton suédois Peter Mattei dont on n’est pas prêts d’oublier le Don Giovanni joué et chanté sur cette même scène de l’Opéra Bastille dans l’iconoclaste mise en scène de Michael Haneke. Dépassant par leur fougue et leur métier l’absence de direction d’acteurs, tous deux atteignent, de voix et de jeu, les sommets espérés.

La Tatiana de Netrebko n’est pas l’adolescente rêveuse, encore gamine qu’on attribue généralement au personnage. Elle a la rondeur d’une femme en devenir, une sorte de maturité intérieure sans illusion réelle sur l’issue du coup foudre brutalement ressenti pour son voisin. Et son timbre capiteux, ses aigus en envols de flammes, son medium charnel en font une amoureuse éperdue, bouleversante. Mattei porte haut en stature et en voix un Onéguine d’abord pétri d’orgueil et de suffisance puis écrasé par la révélation d’une émotion trop longtemps enfermée dans son mépris. Acteur, il passe sans accroc du coq de village à l’homme de maturité blessée, baryton au timbre enjôleur il le chante avec un legato d’aristocrate et des graves qui fouillent l’inconscient.

Autour de ces deux bêtes de scène, les seconds rôles réussissent à briller sans ombres. La mezzo arménienne Varduhi Abrahamyan dote Olga, la sœur frivole, de sa voix à la fois chaude et enjouée, Pavel Černoch, ténor tchèque propose un Lenski en retrait, presque timide, fragile de timbre, et délicat de jeu, monsieur Triquet bénéficie de la belle truculence du ténor argentin Raúl Giménez, la basse ukrainienne Alexander Tsymbalyuk compose un Prince Grémine, aristocrate d’âme, généreux jusqu’au bout de ses graves d’encre noire. Filipievna, la brave domestique, trouve en Hanna Schwarz un double soumis sans être obséquieux.

Fidèles à eux-même les chœurs de la grande maison parisienne sonnent impeccables tandis que dans la fosse, le britannique Edward Gardner dirige sagement en précision et équilibre cette musique de mélancolie et de feu qu’il ne parvient pas à enflammer.

Eugène Onéguine de Piotr Ilyitch Tchaïkovski, livret du compositeur d’après Alexandre Pouchkine, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Edward Gardner, chef de chœur José Luis Basso, mise en scène Willy Decker, décors et costumes Wolfgang Gussmann, lumières Hans Toelstede, chorégraphie Athol Farmer. Avec Anna Netrebko (et Nicole Car en juin) (et Arseny Yakovlev en juin), Peter Mattei, Varduhi Abrahamyan, Elena Zaremba, Hanna Schwarz, Pavel Černoch, Raúl Giménez, Alexander Tsymbalyuk, Vadim Artamonov, Olivier Ayault, Gregory Staskiewicz.

Opéra Bastille, les 16, 19, 22, 25 & 31 mai, 3, 6, 14 juin à 19h30, les 28 mai et 11 juin à 14h30
08 92 89 90 90 - +33 1 71 25 24 23 – www.operanationaldeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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