Chroniques

par laurent bergnach

La Calisto | Calixte
opéra de Francesco Cavalli

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 2 mai 2017
Christophe Rousset joue La Calisto (1651), un opéra de Francesco Cavalli
© klara beck

Pier Francesco Caletti-Bruni, dit Francesco Cavalli (1602-1676), fait partie de ces créateurs dont tant d’ouvrages lyriques sont à redécouvrir, pour nous consoler de ses musiques perdues – Il Titone (1645), L'Euripo (1649), L'Antioco (1659), etc. Aussi, ne doutons pas que La Doriclea (1645), L'Orione (1653) ou L'Erismena (1655) puissent gagner nos théâtres comme tout récemment Eliogabalo (1667) [lire notre chronique du 16 septembre 2016], et s’imposer au répertoire à l’instar de La Didone (1641), Il Giasone (1649) et Ercole amante (1662) [lire nos critiques des DVD Christie, Sardelli et Bolton]. En ce qui le concerne, La Calisto a depuis longtemps échappé au purgatoire, opéra revu ici et là depuis sa création au Teatro Sant'Apollinare (Venise), le 28 novembre 1651.

Pendant longtemps, rappelle Christophe Rousset dans le programme de salle, le natif de Crema fut regardé comme un suiveur, dans l’ombre de Monteverdi, son aîné de trente-cinq ans. Or, la comparaison atteint vite ses limites puisque Cavalli ne jouait pas dans la même cour – osons le jeu de mot. Le spectacle qu’il défend s’adresse non pas au prince de Mantoue, toujours capable de censure, mais au public payant qu’on se doit de divertir par des machineries surprenantes et un livret savoureux, résolument baroque et vénitien. Concocté par le fidèle Giovanni Faustini, celui de La Calisto affiche « un curieux mélange d’élégies et de scènes burlesques, de moments où le charme l’emporte et de quiproquos improbables, de sincérité et de faux-semblant ». Côté musique, Cavalli cherche à se montrer plus expressif que virtuose, plus coloré qu’imposant, et défend une certaine fragilité qui met en valeur le beau chant. À la tête de Talens lyriques singulièrement clairsemés, le chef et claveciniste excelle à rendre une partition « souvent blanche, vide de notes », encore plus tendre, semble-t-il, que ce à quoi il nous avait habitué. Rien que cela aurait enchanté la soirée.

En écho à la bigarrure évoquée ci-dessus, Mariame Clément propose « un voyage dans un monde imaginaire », alliage de réalité, de rêve et de mythe. Ainsi, le décor est une fosse aux ours semi-naturaliste : pourvu d’un chemin de ronde, un mur bétonné jusqu’aux cintres encercle une haute rotonde centrale, laquelle tourne en dévoilant des espaces évolutifs (salon-cage de Junon, caverne d’un Pan dépressif, etc.). Eux aussi réalisés par Julia Hansen, les costumes évoquent plusieurs époques, de l’Antiquité à nos jours. Cependant, avec une alternance très dynamique, la metteuse en scène prend soin de bien différencier scènes d’émotion (l’amour pur entre Diane et Endymion, les doutes de Lymphée, la solitude du Petit Satyre, etc.) et scènes d’humour. Ces dernières sont réussies et sans fausse pudeur : outre une vraie Diane surjouant la virilité d’un Jupiter métamorphosé en déesse, on peut s’amuser de ces satyres qui, sans conteste, sont des mâles, comme en pourront témoigner même les plus myopes…

Renarde chez Janáček avant d’être une ourse aujourd’hui [lire notre critique du DVD], Elena Tsallagova séduit par un soprano aussi facile et épicé que celui de Raffaella Milanesi (Giunone) s’avère incisif et ferme. Le mezzo-soprano Vivica Genaux (Diana) convainc lui aussi par son chant souple et ample, aux vocalises agiles. Issues du Chœur maison, Tatiana Zolotikova et Yasmina Favre complètent efficacement la distribution féminine.

Familier du rôle [lire notre chronique du 5 mai 2010], Giovanni Battista Parodi (Giove) est une basse profonde et saine auprès de qui Nikolaï Borchev (Mercurio) ne démérite pas, baryton vaillant, incisif et d’une couleur timbrique caractérisée [lire nos chroniques du 5 juillet 2011 et du 30 juillet 2010]. Jaroslaw Kitala (Silvano) plaît également. Deux ténors sont présents : Guy de Mey (Linfea), sonore et au long souffle, et Lawrence Olsworth-Peter (Pane), impacté mais aux placements hétéroclites. Enfin, les contre-ténors ont pour nom Filippo Mineccia (Endimione), fort émouvant de nuance et de délicatesse, et Vassili Khoroshev (Satirino), plus charnu et bouffon. Bravi !

LB