Critique – Opéra et Classique

La Calisto de Francesco Cavalli

Aux origines coquines de la Grande Ourse

La Calisto de Francesco Cavalli

Cette Calisto délurée composée en 1651 par Francesco Cavalli expose au grand jour les pulsions d’un érotisme transsexuel. Oeuvre un rien friponne sur fond de mythologie, tirée des Métamorphoses d’Ovide, elle raconte sans détours les manigances de Jupiter qui, en amoureux de la vierge Calisto, se transforme en Diane pour en obtenir les caresses du consentement. Junon, épouse trompée par ce mari trop volage cherchera bien entendu vengeance en transformant sa rivale en ourse pataude. Pris doublement de remords, Jupiter convertira son innocente conquête en étoile et l’enverra scintiller dans les cieux. Ainsi naquit la Grande Ourse.

Fable souriante mise en livret par Giovanni Faustini et en musique par Cavalli, cette Calisto qui navigue sur des tempi tantôt voluptueux, tantôt dansants séduit chefs d’orchestre et metteurs en scène depuis la réapparition il y a une quarantaine d’années de la musique baroque dans les répertoires. On n’est pas prêts d’oublier la production emblématique signée en 1993 à la Monnaie de Bruxelles par Herbert Wernicke et René Jabobs, maintes fois reprises (voir WT 1806). Il y a trois ans, au Théâtre des Champs Elysées, Macha Makeïeff lui donnait un petit air à la Louise Brooks soutenue dans la fosse par les Talens Lyrique et leur maestro Christophe Rousset (voir WT 2214).

C’est lui et son ensemble que l’on retrouve ces jours-ci à l’Opéra National du Rhin de Strasbourg dans une Calisto ré-imaginée par Mariame Clément en avant-dernière production du mandat de Marc Clémeur, directeur de l’institution alsacienne depuis 2009.

Un espace unique gris métallisé suggère la fosse aux ours d’un zoo ou d’un cirque. En son centre tourne un bloc massif dévoilant dans ses parcours les lieux divers de l’action, l’appartement-cage chic et bourgeois de Junon ou le cabinet médical d’un vétérinaire… Une volée d’escaliers mène à un balcon où trône la statue d’une Diane de marbre et d’où Jupiter, en frac et haut de forme et Mercure, vagabond de style auto-stoppeur peuvent observer leur drôle de monde où déesses chasseresse, furies déchaînées et satyres émoustillés se font la course au sexe.

Entre le gros ours noir se traînant au sol comme pour demander pardon de son involontaire métamorphose, les élans sensuels unissant la fausse Diane et l’ingénue Calisto, les farandoles des satyres aux attributs poilus, le destin de la nymphe se déroule sans temps mort. Les images, les situations sont constamment en prise directe avec la musique et le jeu comme les voix des protagonistes lui font écho en légèreté et en humour.

L’incroyable Elena Tsallagova qui depuis des années semble toujours à peine sortie de l’adolescence compose une Calisto toute en vivacité et émotion. Comme dans La petite renardée rusée de Janacek ou en Mélisande debussyenne (voir WT 1672 & 4511), l’irrésistible soprano russe s’exprime d’une voix toute en limpidité et lumières, aigus rayonnants, graves satinés. Pour le rôle de la fausse Diane le choix existe entre un baryton en voix de fausset (Jupiter déguisé) ou une vraie soprano (doublure assumée du dieu et de Diane). C’est cette version qui a été retenue avec une Vivica Genaux stupéfiante d’aisance en faux mec et vraie femme, le timbre charnu, à la fois clair et charpenté et la diction ciselée. Elle est drôle, souple comme une liane, et pleine d’autorité.

Le contre-ténor Philippo Mineccia apporte à l’amoureux transi Endimione une belle palette de nuances. Giovanni Battista Parodi campe en prestidigitateur céleste un Jupiter à la voix d’encre noire face au très loquace Mercure auquel Nicolay Borchev, jeune baryton russe, apporte une présence espiègle et un timbre jovial. Raffaella Milanesi fait de Junon, une femme à la colère explosive revendiquant son droit d’être femme sans être trompée, Guy de Mey s’amuse visiblement à faire de Lymphée une matrone travestie mal dans sa peau tandis que Vasily Khoroshev, autre contre-ténor de la distribution trépigne de plaisir en Satyre érotisé.

Violoncelle, lirone, contrebasse, luth, guitare et harpe, clavecin et orgue des Talens Lyriques assurent les continuos de la partition, violons, flûtes et cornets complètent l’ensemble, réunis et dirigés par un Christophe Rousset manifestement en parfaite osmose avec cette musique d’un autrefois qui nous est devenu si proche.

La Calisto de Francesco Cavalli, livret de Giovanni Faustini, orchestre des Talens Lyriques, direction Christophe Rousset, mise en scène Mariame Clément, décors et costumes Julia Hansen, lumières Marion Hewlen. Avec Elena Tsallagova, Vivica Genaux, Giovanni Battista Parodi, Nicolay Borchev, Filippo Mineccia, Raffaella Milanesi, Guy de Mey, Vasily Khoroshev, Lawrence Olsworth-Peter, Jaroslaw Kitala, Tatiana Zolotikova & Yasmina Favre.

Strasbourg – Opéra National du Rhin les 26, 28 avril, 2 & 4 mai à 20h, le 30 avril à 15h
0825 84 14 84
Mulhouse – La Sinne le 12 mai à 20h, le 14 à 15h.
0389 33 78 01
www.operanationaldurhin.eu
Photos Klara Beck

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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