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Béatrice et Bénédict au Palais Garnier - Bonne surprise ! - Compte-rendu

Nous nous rendions au Palais Garnier quelque peu dubitatif. Ne voilà-t-il pas que Béatrice et Bénédict, inséré dans le cadre de ce cycle Berlioz annoncé en trompettes par l’Opéra de Paris (et appelé à se poursuivre avec Benvenuto Cellini la saison prochaine, puis Les Troyens en 2019), n’était donné que pour une seule soirée, en version de concert, bien qu’indiquée (par la suite après une première annonce) mise en espace. Comme une soirée en passant, parmi les grandes productions… Alors que nous gardions un souvenir pour le moins dépité de La Damnation de Faust, qui avait inauguré ce cycle l’an passé. Et alors même qu’était annoncée la défection de l’un des deux principaux chanteurs prévus, l’idoine Stanislas de Barbeyrac.
 
Mais la surprise est venue, quand on ne l’attendait pas trop. D’entrée, Philippe Jordan (photo), donne la bonne mesure, avec une Ouverture où sa battue se manifeste soucieuse des multiples détails entrelacés de l’orchestration. Et il est ainsi durant tout le premier acte, au rebours sur ce plan de sa précédente rigide Damnation (victime assurément des dommages collatéraux d’une affligeante mise en scène). Au cours du second acte, son attention semble se fatiguer, avec cependant encore des moments bien sentis (le passage tempétueux de l’air de Béatrice). Mais telle est sa direction avisée, qu’elle excite désormais les promesses dans la perspective des Benvenuto et Troyens dont il sera prochainement en charge.
Le plateau vocal répond lui aussi à ses promesses. Nonobstant le Bénédict de remplacement, Paul Appleby, qui avait déjà chanté le rôle à Glyndebourne l’été dernier, et se révèle tout à fait adapté de sa voix de ténor léger, malgré quelques aigus tirés. Stéphanie d’Oustrac campe la ferme Béatrice attendue, avec élan et allant, même si certaines notes dures lui échappent dans la seconde partie de son (difficile) air. Sabine Devieilhe, Florian Sempey, François Lis et Aude Extrémo figurent avec jolie prestance les compagnons des deux gentils héros confrontés à un « je t’aime, moi non plus ! ». Le trio féminin du second acte et le célèbre duo qui clôt le premier acte, trouvent dans leurs volutes vocales assorties l’indicible aura nocturne qui les nimbe. Et ce, en dépit de l’acoustique de Garnier, surdimensionnée à ces effluves diaphanes (quand on sait le petit théâtre de Baden-Baden où l’œuvre fut créée). Une mention toute particulière pour Laurent Naouri, impayable Somarone à la voix et la diction bien trempées et ardemment lancées.
 
Tout serait ainsi presque pour le mieux, dans le meilleur des mondes possibles de la poésie musicale de l’ouvrage ultime de Berlioz, « qui prend congé de nous, de lui-même et surtout de la tragédie, par une parodie débordante de pétulance, une parodie du tragique lui-même » (pour citer Nietzsche). Sauf que le chœur, excellent dans sa partie en coulisse du « Chœur lointain de l’hyménée », l’est nettement moins dans ses apparitions sur scène, souvent peu homogène et parfois criard, en particulier dans l’ensemble final de la très baroque « Marche nuptiale ».
 
Et sauf qu’il faut aussi compter avec la « mise en espace ». On s’étonnait déjà, à la lecture du programme, d’un personnage non prévu par la pièce, un « Prêtre » inconnu. On remarquait aussi la présence d’un certain nombre de comédiens, pour des « rôles parlés ». Alors que seul un personnage est théoriquement affecté à un acteur. Mais, aux fins de doubler les chanteurs, pourquoi pas ?... Puisque cet opéra-comique est pourvu, comme il se doit, de dialogues parlés. Si ce n’est que les chanteurs en question de cette distribution entièrement francophone (hors l’exception du ténor remplaçant) pouvaient aisément s’en acquitter, comme ils l’ont démontré pour quelques répliques. Et de fait, ces dialogues, maintenus pour la plupart (et fort heureusement), viennent à point nommé et bien transmis. Mais c’est alors, au milieu de ces contentements, que surgit au deuxième acte une scène parlée longuette et incongrue, prise à Shakespeare certes (Much ado about nothing, dont s’inspire Berlioz), dans un galimatias incompréhensible de soubresauts tragiques dont justement cette œuvre toute de comédie fait la totale abstraction. À la fois lourd et hors de propos ! D’autant que le spectateur, non informé par le programme de salle, ne saisit alors plus trop le sens d’une trame a priori légère !
 
Mais il fallait bien donner un peu de grain consistant à moudre aux comédiens recrutés spécialement pour l’occasion. Et il fallait bien qu’un metteur en scène outrepasse sa trop modeste fonction. Stephen Taylor sait pourtant par ailleurs trouver un ton juste, dans des allées et venues bien cadrées, assorties de quelques costumes fantaisistes (signés Nathalie Prats). Que n’en s’est-il tenu là !
 
Pierre-René Serna

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Berlioz : Béatrice et Bénédict – Paris, Palais Garnier, 24 mars 2017

Photo Philippe Jordan : © Jean-François Leclercq / Opéra national de Paris

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