Un Eugène Onéguine poétique et épuré à l'Opéra de Nice

Xl_oneguine © Dominique Jaussein

Peu après Boris Godounov à l’Opéra de Marseille, c’est l’Opéra Nice qui proposait un des titres-phares du répertoire russe, Eugène Onéguine de Piotr Ilitch Tchaïkovsky, dans une mise en scène d’Alain Garichot. Cette production (que nous avions naguère vue à Nantes) est d’abord tenue par son décor unique (conçu par Elsa Pavanel), d’inspiration symboliste, fait d’un sous-bois planté de grands troncs d’arbre : la descente à vue d’un vélum blanc entre les arbres et quelques meubles recouverts de housses blanches suffiront à y camper la chambre de Tatiana, ainsi en osmose direct avec la nature. Après le duel seulement, l’acte III qui enchaîne voit les arbres disparaître dans les cintres en même temps qu’un écran se dévoile à l’arrière-plan, où se projette une immense (pleine) lune, pour laisser exploser, sur le plateau vide, les seules passions des personnages. Avec ce bel espace, un peu austère mais simple, poétique et juste, et de beaux costumes à la fois historiques et stylisés (signés par Claude Masson), à dominante blanche et noire, le tout éclairé avec beaucoup de raffinement par Marc Délamézières, le spectacle trouve un accès pertinent et émouvant à l’œuvre, entre l’évocation non réaliste de ses données russes et une nécessaire focalisation sur le drame psychologique, tout comme entre rêve et réalité, dans une poésie intimiste et intériorisée.

On apprécie aussi de trouver, dans cette fort belle production une distribution qui fait honneur au chef d’œuvre du grand compositeur russe. Dans le rôle-titre, le baryton moldave Andreï Zhilikhovsky affiche une splendeur vocale souveraine et une parfaite adéquation avec l’ambiguïté du héros, auquel il prête également son physique avantageux. Sans démériter, le Grémine de son compatriote Oleg Tsibulko manque de projection et de puissance vocales, mais se rachète par la profondeur de ses graves et la beauté de sa ligne de chant. Le ténor russe Igor Morozov incarne un Lenski à la fois ardent et pudique, délivrant un adieu à la vie, le fameux « Kuda, Kuda », avec toute l’émotion et l‘élégie requises, grâce à de superbes messe di voce : son air constitue le moment le plus frappant de la soirée.

Côté dames, Marie-Adeline Henry impose une silhouette et une gestique de vraie jeune fille dans toute la première partie de l’ouvrage. Si elle ne s’affirme pas spontanément comme la Tatiana idéale, elle a l’immense mérite de composer un personnage toujours juste et crédible, sinon totalement authentique, qui force le respect. Et si l’instrument n’est pas particulièrement « hédoniste », on en admire en revanche l’expressivité. Quant à la mezzo nantaise Julie Robard-Gendre, elle campe une idéale Olga, bien mise en valeur par une mise en scène soucieuse de différencier clairement les deux sœurs dès leur entrée. Chez les comprimari, Thomas Morris campe un Monsieur Triquet cabot à souhait (dont on fait ici un prestidigitateur), Doris Lamprecht une Madame Larina au vibrato envahissant, (cependant compensé par un jeu d’un grand naturel), et Karine Ohanyan une émouvante Filipievna.

Enfin, le chef français Daniel Kawka dirige avec autant de beauté que de sensibilité, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Nice magnifique de fluidité, de transparence et de couleurs.

Emmanuel Andrieu

Eugène Onéguine de Piotr Ilitch Tchaïkovsky à l’Opéra de Nice (février 2017)

Crédit photographique © Dominique Jaussein

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