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Scènes

«Petite Renarde» sauvage et nains chanteurs en Alsace

L’Opéra national du Rhin présente une belle reprise de Janácek ainsi qu’une «Blanche-Neige» pour enfants.
par Guillaume Tion, Envoyé spécial en Alsace
publié le 22 décembre 2016 à 19h26

L'Alsace cède à l'animalité opératique. Sur les planches du Théâtre municipal de Colmar et de l'Opéra de Strasbourg, en décembre, deux spectacles qui seront repris en janvier mettent en avant des chanteurs grimés en poule, renard, ours, chien… Les animaux-humains sont livrés à des drames inspirés des frères Grimm pour l'un, d'une BD tchèque de 1920 adaptée d'un roman pour l'autre. Si le premier est expressément destiné aux enfants, le second se pare des attributs d'une fable pour adultes. Le premier est Blanche-Neige, le second la Petite Renarde rusée. Décortiquons ces reprises de décembre présentées par l'Opéra national du Rhin (OnR).

Dis-moi qui est la plus belle

Créé en 2011 à l'Opéra de Cologne, Blanche-Neige passe pour la seconde fois devant le miroir de l'OnR. A Colmar en décembre, elle rejoindra la Cité de la musique de Strasbourg en janvier. Cette œuvre contemporaine du compositeur berlinois Marius Felix Lange est montée par l'Opéra Studio : les chanteurs sont en voie de professionnalisation, les musiciens sont issus de l'Académie supérieure de musique ainsi que du Conservatoire de Strasbourg. Et, en écho, la salle est remplie d'enfants venus entendre cette version inédite de Blanche-Neige. Inédite car il y manque la référence disneyenne presque aujourd'hui contingente au conte : ici les nains se prénomment Oups, Api, Pic, Rubi…, l'air Hey ho, on rentre du boulot disparaît (mais survit, en clin d'œil, dans un dialogue), tout comme Un jour mon prince viendra… Voici la jeunesse, de chaque côté de l'imposant cadre de miroir entourant la scène, lancée dans la construction d'une nouvelle aventure d'une part, et la réception d'un nouvel imaginaire de l'autre. Pour mener à bien cette renaissance, la production ne manque pas d'atouts : une musique boisée très percussive et gentiment atonale ; une mise en scène privilégiant le plaisir des effets plateaux (éparpillement de flocons de neige, jeu avec les échelles et les proportions) ; un livret un peu mollasse mais qui a la bonne idée de prendre pour narrateur le miroir itself. Cette production pour enfants, inventive et pleine d'allant (à maints égards peluche que correcte), souffre néanmoins de sa distribution hétérogène, globalement inégale et portée par les voix féminines - les garçons étant plus imprécis. A l'arrivée, victoire à l'applaudimètre pour… la belle-mère perfide, jalouse, méchante et donc comique interprétée par la mezzo belge Coline Dutilleul.

Dis-moi qui est la diva

A Strasbourg, un sapin géant est installé place Kléber et Elena Tsallagova chante la Petite Renarde rusée. Dépêchez-vous, elle s'arrête ce vendredi. Ce n'est pas la première fois que la soprano russe interprète le rôle-titre de l'opéra de Leos Janácek mais elle y déploie une maestria telle que sa performance en devient un motif de pèlerinage. Tout à fait à l'aise dans son haut de jogging orange, Tsallagova chante, saute, court, pisse aussi, fait exploser sa puissance, sait être émouvante ou provoc et livre enfin des passages parlés-chantés extraordinaires de fluidité et de justesse.

Tsallagova, passée elle aussi par une Académie, celle de l'Opéra de Paris, parvenait il y a deux ans à se sortir avec panache du rôle écrasant de Mélisande confit dans le symbolisme scénique de Bob Wilson. Elle montre dans cette Renarde - qui la fit découvrir en 2008 à Bastille, avec laquelle elle a ensuite tourné et qu'elle reprend dans une mise en scène de Robert Carsen de 2013 - que, comme les sopranos faisant les grandes Lulu, Tsallagova est une des rusées Renardes de son époque. A la suite de la représentation où nous l'avons vue, elle tweetait un énigmatique : «Quand vous ressentez le jour de la représentation comme un jour particulier, il devient d'un coup encore plus spécial et en même temps banal.»

Elle sera remplacée en janvier par la Tchèque Lucie Silkenova. Les Strasbourgeois pourront retrouver Tsallagova dans la Calisto de Cavalli en avril 2017. Ce sera l'avant-dernière production du directeur Marc Clémeur, celui-ci passant la main à la tête de l'OnR et de ses trois scènes (Strasbourg, Colmar, Mulhouse) à l'Allemande Eva Kleinitz en septembre.

Dis-moi qui est le plus malin

Mais il n’y a pas qu’Elena Tsallagova pour faire briller la fable de Janácek : l’Orchestre philharmonique de Strasbourg épouse avec moelleux toutes les inflexions de l’automne, et son chef, le Néerlandais Antony Hermus, recherche les contrastes dans la subtilité de soudains pianissimo et la discrétion de certains fermatas. Sous le plafond argenté de cette salle à l’italienne, le son de la fosse volète comme une feuille morte, dont la scène est jonchée.

Carsen articule, lui, son travail autour d'une idée forte : la petite renarde n'est pas qu'une icône du féminisme et de l'émancipation, comme le livret le suggère au IIe acte, elle est aussi l'illustration d'une vie normée. Elle s'affranchit du chasseur qui veut la domestiquer, grandit au milieu des humains, fonde une famille, enfante, élève, meurt. Elle passe comme passent les saisons, ce que l'opéra prévoit, et que Carsen montre au public dans cet unique tableau de forêt vallonnée qui traverse la rouille de l'automne, se couvre d'un drap blanc en hiver et dévoile son herbe verte au printemps. Dans cette mise en scène qui fait tenir en équilibre l'homme et l'animal, l'apprivoisé et le sauvage, le drap de neige est aussi un linceul pour la renarde qui finit en manteau.

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