Tristan und Isolde
Opéra en trois actes (1865)
Livret de Richard Wagner d’après Tristan de Gottfried de Strasbourg
Richard Wagner (1813–1883)
Metropolitan Opera de New York

Mise en scène : Mariusz Treliński
Décors : Boris Kudlička
Costumes : Marek Adamski
Vidéo : Bartek Macias
Dramaturgie : Adam Radecki et Piotr Gruszczyński
Lumières : Marc Heinz
Isolde : Nina Stemme
Tristan : Stuart Skelton
Brangäne : Ekaterina Gubanova
König Marke : René Pape
Kurwenal : Evgeny Nikitin
Melot : Neal Cooper
Choeur et Orchestre du Metropolitan Opera
Direction musicale : Asher Fisch

 

Le spectacle (à Baden-Baden) a fait l'objet d'une chronique en mars dernier dans le Blog du Wanderer

 

Le 24 octobre 2016 au Metropolitan Opera de New York

Spectaculaire ouverture de saison du MET, dans la production présentée le printemps dernier à Baden-Baden, avec une distribution presque entièrement renouvelée et la présence éclatante de Nina Stemme face au beau Tristan de Stuart Skelton.

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Annoncé comme l’événement lyrique de la rentrée new-yorkaise à grand renfort de publicité, de photos, d’articles et d’interviews, la nouvelle production de Tristan und Isolde de Wagner n’a pas déçu. Le Metropolitan Opera avait vu grand et juste pour communiquer sur l’un des ouvrages phare du répertoire défendu par Nina Stemme, véritable disciple de Birgit Nilsson, et par le jeune Stuart Skelton dont le nom ne devrait pas rester longtemps inconnu.

Le directeur du MET, Peter Gelb, qui a appris à connaître son public, son conservatisme et son goût pour la tradition, a su en quelques années bousculer les habitudes en concevant des programmations calibrées où se côtoient spectacles traditionnels et mises en scènes novatrices, défendues par des créateurs tournés vers la modernité. Après Chéreau, Lepage ou Tcherniakov, Mariusz Trelinski était donc invité à présenter sa très contemporaine version de Tristan und Isolde, coproduite avec les Opéras de Baden-Baden (où elle a été donnée en mars dernier), le Teatr Wielki de Varsovie et le NCPA de Pékin.

L’univers imaginé par le Polonais fait froid dans le dos : les aiguilles d'un immense sonar envahissent dès les premiers accords l'écran qui occulte le plateau, puis les images d'une mer déchaînée sur laquelle un navire essaie de se frayer une voie nous renseignent sur la lutte sans merci que l'équipage endure face à une nature hostile. A son bord, le capitaine Tristan obéit sans discuter aux ordres (il ira jusqu’à tuer un homme de sang-froid !), tandis qu’il escorte la future épouse de son amiral. De très belles images vidéo en noir et blanc, signées Bartek Macias, se succèdent, sur lesquelles nous voyons Tristan enfant dans les bras de son père, puis vêtu en marin, ou encore seul tenant une arme à la main, autant d’éléments prémonitoires qui nous expliquent la psychologie et la destinée de cet homme tourmenté, qui semble avoir toujours été contraint d’exécuter des actes contraires à sa volonté et à son éthique.

Au 1er acte l’immense décor sur plusieurs niveaux conçu par Boris Kudlicka, permet d'embrasser d'un coup d’œil le bureau de Tristan, la cabine d’Isolde, les coursives et les escaliers métalliques du navire. La tension y est palpable, Isolde et Brangäne, constamment sous surveillance, devant tenir tête à des marins brutaux qu’essaie de discipliner Kurwenal. La confrontation entre Tristan et Isolde prend un tour inattendu lorsque Brangäne interrompt le couple pour lui servir à boire… Au second acte, les amants se retrouvent dans une tour-mirador, balayée par d’épais nuages, avant de rejoindre un entrepôt où sont cachés des fûts, sans doute de produits toxiques, et d’être découverts par l’amiral Marke qui, pour se venger n’hésite pas à brutaliser Isolde et à faire arracher une à une les décorations de Tristan. Ainsi humilié, ce dernier menace son entourage d'un revolver avant que celui-ci ne soit retourné contre lui et ne le blesse. Une chambre d’hôpital tient enfin lieu de cadre au dernier acte : Tristan étendu sur un lit dans un semi coma, se revoit petit garçon, tandis qu’un enfant tourne autour de lui pour vérifier s'il respire encore. Kurwenal veille sur son maître et assiste à son délire à l'annonce du retour d’Isolde. Disparu avant que celle-ci n’entame son « Liebestod » et après qu'elle se soit ouvert les veines, Tristan réapparaît finalement assis à ses côtés, à nouveau couvert de ses décorations, cette fois pour l’éternité.

La lecture du metteur en scène polonais marquée par la violence, l’inconscient et le réalisme de certaines scène, n’a pas heurté le public qui a, semble-t-il, adhéré à cette vision forte, moderne et cohérente. Dirigée brillamment par Asher Fisch (en alternance avec Simon Rattle) à la tête d'un orchestre d'une virtuosité et d'une musicalité sans faille, la partition d’une puissance et d’une beauté magnétique, accompagne chaque étape du drame comme s’il était vécu tantôt par les yeux d’Isolde, tantôt par ceux de Tristan. Au suspense écrasant du premier acte, succède le vertige amoureux du second, avant l’inévitable marche au supplice et l’extase du dernier. Pour incarner le couple mythique, Nina Stemme et Stuart Skelton ont été choisis. En Isolde, la soprano suédoise est spectaculaire, d’endurance, d’aisance et de tenue vocale, livrant une performance très fouillée et très personnelle de ce rôle dévorant qu'elle interprète depuis 2003 sur toutes les scènes du monde entier. Son jeu d’un naturel confondant, au fini cinématographique, qui révèle une direction d'acteur très fine, confère à son personnage une présence singulière rendue avec plus d’acuité encore par les caméras qui viennent régulièrement scruter ses émotions en les projetant sur grand écran. Sa diction limpide, ses phrasés infrangibles, son aigu souverain jamais forcé et l’intensité de son chant en font l’Isolde rêvée, désormais sans rivale depuis les adieux de Waltraud Meier à Munich, en juillet 2015. Stuart Skelton qui incarnait Tristan à Baden Baden face à Eva Maria Westbroeck, est également remarquable : la difficulté du rôle ne l’effraie pas. Il possède les ressources nécessaires pour surmonter les difficultés, une émission claire, des registres soudés, la relance et l’énergie qui constituent les grands Tristan auxquels il devrait appartenir rapidement. La mezzo Ekaterina Gubanova prête une nouvelle fois sa longue et belle voix au personnage de Brangäne dont elle est l’une des plus émouvantes interprètes, même si les « Appels » du second acte n'ont plus tout à fait la même stabilité qu’autrefois. Il suffit à René Pape d’apparaître et d’ouvrir la bouche pour que le miracle opère : son Roi Marke aux sonorités de violoncelle et à la ligne ductile que soyeuse, remporte comme toujours tous les suffrages. De son côté Evgeny Nikitin met quelque temps avant d’habiter son Kurwenal qui ne prend véritablement chair qu’au troisième acte, Neal Cooper (Melot), Alex Richardson (Ein Hirt) et David Steersman (Ein Steuermann) contribuant à inscrire cette soirée parmi les plus marquantes de la saisons et de ces dernières années.

François Lesueur

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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