Chroniques

par laurent bergnach

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 23 septembre 2016
Reprise réussie de la Tosca de Pierre Audi à l'Opéra Bastille
© elisa haberer | opéra national de paris

Si Hernani ou L’honneur castillan (1830) reste la référence inoxydable d’un scandale de théâtre, le XIXe siècle compte d’autres pièces ayant secoué fauteuils et gazettes, telle Tosca, signée Victorien Sardou, créée le 24 novembre 1887 au Théâtre de la Porte Saint-Martin (Paris). Dans le programme de salle, Isabelle Moindrot rappelle diverses anecdotes liées à un spectacle conçu pour permettre à Sarah Bernhardt de renouer avec Paris : certains spectateurs réagissent physiquement à l’apparition de Mario ensanglanté (cris, évanouissements), tandis que des critiques fustigent la « soif de sang » d’un auteur surnommé « Caligula du drame ». Célèbre défenseur du bon sens et du bon goût pour Le Temps entre 1867 et 1899, Francisque Sarcey prédit même « la fin de tout art et la mort du théâtre ».

Ces scènes au paroxysme décrié (traque, torture, chantage, viol, meurtre, fusillade) vont intéresser Puccini (1858-1924), lequel songe à une adaptation et supplie l’éditeur Ricordi de faire le nécessaire pour obtenir l’autorisation de Sardou – « Dans cette Tosca, je vois l’opéra qui me convient exactement, œuvre sans proportions excessives tout en étant un spectacle décoratif, et qui fournit l’occasion de composer une abondante musique » (lettre du 7 mai 1889). Le livret de Giacosa et Illica sert de base à un opéra en trois actes offerts au Teatro Costanzi (Rome) le 14 janvier 1900.

Deux ans après sa création parisienne, la production de Pierre Audi retrouve les murs de l’Opéra Bastille, pour une dizaine de représentations (du 17 septembre au 18 octobre). Attaché à un drame qui mêle amour et pouvoir, s’achevant dans les ruines à l’instar d’un récent Tristan und Isolde mis en scène avec la complicité du décorateur Christof Hetzer [lire notre chronique du 12 mai 2016], le natif de Beyrouth souligne la modernité de Puccini en choisissant l’épure.

Pourtant, comme il pèse, ce crucifix géant ! D’abord couché, donnant à l’église des allures de bunker sur lequel Mario peint une nuée d’oréades, sa suspension au-dessus des têtes frise la caricature. Certes, Floria est aux mains de son confesseur, mais la sienne tue, au mépris du Décalogue. Scarpia reste un tartuffe sans âme d’inquisiteur, entouré ici d’outils bien voltairiens (globe, lunette astronomique). Même notre sacristain livre son frère au séculier sans trop d’effort… Où est la religion ? Le commun des mortels n’a pas une connaissance assez précise de l’Italie de l’époque (exil de Pie VI, rôle de Naples, etc.) pour adhérer à cette stigmatisation envahissante, quand tout lui parle politique.

Laissant bientôt place à Lioudmila Monastyrska, Anja Harteros porte le rôle-titre avec aisance. Applaudi dès son entrée en scène, et même avant la fin d’un Vissi d’arte attendu (bienvenue au public du vaudeville…), le soprano offre un chant facile et corsé, tandis que Marcelo Álvarez (Mario), solaire, réjouit par la rondeur de l’aigu. Il livre son air ultime sans poser ni geindre, justement acclamé. Aussi souple qu’incisif, Bryn Terfel maîtrise une fois encore la figure de Scarpia [lire notre chronique du 16 novembre 2015 et notre critique du DVD]. Alexander Tsymbalyuk (Angelotti) marque l’oreille par sa basse chaude et ample. On apprécie Francis Dudziak (Sacristain) pour sa santé, sa clarté et un Angelus fort nuancé. À leur écoute, Dan Ettinger se distingue par une lecture orchestrale pleine d’allant, fluide et colorée, qui couronne cette soirée mémorable.

LB