La troublante jeunesse de l’immortalité

A l’Opéra flamand, une formidable version de "L’Affaire Makropoulos".

Nicolas Blanmont
Makropoulos
Makropoulos

On a pris l’habitude de voir des chanteuses au moins quinquagénaires incarner Emilia Marty. C’est que l’héroïne de "L’Affaire Makropoulos" avoue pas moins de 337 ans, et qu’on se dit généralement qu’il faut une soprano d’âge mûr pour rendre le personnage crédible.

La première bonne idée de la nouvelle production que propose l’Opéra flamand de cet avant-dernier opéra de Janacek est de prendre le contrepied de cette habitude : le rôle central revient ici à une chanteuse jeune et belle, la Suissesse Rachel Harnisch, formidable de netteté et de puissance vocale mais aussi confondante de présence scénique. Sa première apparition est comme un coup de poing : pantalon de cuir serrant sur bottillons profilés, veste ajustée et casque intégral qu’elle enlève pour révéler cheveux courts, mèches blondes et lunettes noires. La référence au Bowie the "China Girl" ou de "The Man Who Fell to Earth" est évidente. Le mystère et le malaise qui se dégagent du personnage s’épaissiront quand elle se dévêtira peu à peu, découvrant des tatouages cabalistiques (son père était, en 1585, un puissant alchimiste), un crâne chauve de mannequin de vitrine mais aussi des bandelettes de momie.

Habile utilisation de la vidéo

Le cinéaste hongrois Kornel Mundrunczo, qui n’avait pas entièrement convaincu lors de sa précédente incursion lyrique - "Le Château de Barbe-Bleue" de Bartok couplé au "Voyage d’hiver" de Schubert, à l’Opéra flamand déjà - réussit ici une mise en scène parfaite, à la fois novatrice dans son propos et fidèle à l’esprit de l’œuvre, forte d’une direction d’acteurs impeccable mais aussi d’une utilisation habile de la vidéo.

Dès l’ouverture, le spectateur s’agrippe à ses accoudoirs : dans une salle de tribunal entièrement lambrissée, six juges tout de noir vêtus et casqués (Daft Punk ?) entrent puis sortent assez vite, laissant place à une vidéo hallucinante prise depuis le casque d’un motard qui enfile à vive allure les lacets d’une route de montagne.

Accroché au mur, le portrait très Biedermeier d’une Thémis paisible semble tanguer au gré des inclinaisons de la moto. Riche en images fortes et capable de parler à un public jeune d’aujourd’hui, renforcée encore par l’absence d’entracte, la suite sera à l’envi, jusqu’à un splendide final où tous les objets de l’appartement de Prus s’envolent.

La partition est aussi bien servie que le livret. Dans la fosse, l’excellent Tomas Netopil synchronise parfaitement les voix multiples de la musique de Janacek, la tension dramatique ne faiblit jamais et l’orchestre se montre en toute belle forme. Les chanteurs masculins méritent tous autant de louanges qu’Harnisch, qu’il s’agisse de Michael Kraus (Prus), Michael Laurenz (Gregor), Sam Furness (Vitek), Karoly Szemerédy (Kolenaty) ou notre compatriote Guy De Mey, formidable dans le rôle du sénile et attachant Comte Hauk-Šendorf.

Anvers, Opéra jusqu’au 22/9; Gand, Opéra, du 2 au 9/10; www.operaballet.be

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