« Eliogabalo », monstre sage à l'Opéra de Paris
L'Opéra de Paris a placé la rentrée sous le signe de la nouveauté : « Eliogabalo » de Cavalli y est représenté pour la première fois et confié à une jeune équipe qui y fait aussi ses débuts. L'entreprise n'est pas sans risques. Cet opéra, archétypal du XVIIe siècle vénitien, repose sur un livret impliquant moult personnages en de complexes chassés-croisés amoureux et sur une partition où la frontière entre le parlé et le chanté reste perméable. Malgré ces nombreux obstacles, la production réussit honorablement l'examen de passage.
On pouvait, certes, attendre de Thomas Jolly, reconnu pour ses mises en scène dynamiques de Shakespeare, une réalisation plus audacieuse, plus foisonnante, plus baroque. Le sujet l'y incite. Cet Eliogabalo, « langoureux, efféminé, amoureux, lascif », empereur romain à quatorze ans, ne semble, en effet, obéir qu'à ses pulsions. Mégalomane, il n'hésite pas à se comparer à Jupiter et s'autorise ainsi toutes les amours, féminines et masculines. Fidèle à son esthétique, Thomas Jolly installe le drame dans un environnement sombre (décor très bas de gamme de Thibaut Fack, costumes rétro-futuristes de Gareth Pugh) que percent et structurent les faisceaux lumineux de son complice Antoine Travert. Sans doute un peu trop sage, ce spectacle a le mérite de se dispenser des gadgets à la mode qui masquent souvent le manque d'idées et, surtout de rester lisible et de suivre le livret. Les rapports entre les personnages, si importants, sont fort bien analysés et les personnalités cernées avec précision.
La passion du chef argentin
En invitant Leonardo Garcia Alarcón, l'Opéra de Paris ne pouvait pas se tromper. Le chef argentin est l'un des meilleurs connaisseurs de Cavalli et du baroque italien qu'il défend avec passion et générosité. Il réunit dans la fosse du Palais Garnier, pour des raisons acoustiques, un orchestre bien plus important que ce que les théâtres vénitiens d'alors proposaient. Il en fait un des acteurs principaux du drame, toujours prompt à donner l'impulsion ou à se lover dans une de ces marches harmoniques et ces douloureux « lamentos » qui rendent la musique de Cavalli si lyrique et sensuelle.
La distribution est convenable. Si le contre-ténor Franco Fagioli est à la hauteur de sa réputation dans le rôle-titre (richesse du timbre, virtuosité), Paul Groves et Valer Sabadus ont paru en petite forme. Elin Rombo, Mariana Flores et Emiliano Gonzales Toro sont, en revanche, des modèles de musicalité et d'intelligence dramatique.
Philippe Venturini