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« Eliogabalo », prédateur en herbe sans panache à l’Opéra Garnier

Thomas Jolly livre une version décevante de l’œuvre de Francesco Cavalli.

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Publié le 19 septembre 2016 à 09h42, modifié le 07 octobre 2016 à 18h56

Temps de Lecture 3 min.

Décors de Thibaut Fack, costumes de Gareth Pugh et lumières d’Antoine Travert pour cette entrée au répertoire de l’opéra baroque.

C’est peu dire que l’Opéra de Paris avait fait de cette ouverture de saison un triple challenge. L’entrée au répertoire d’un opéra baroque quasi inconnu, Eliogabalo, de Francesco Cavalli (1602-1676), les débuts d’une pléiade de jeunes artistes – dont le contre-ténor star Franco Fagioli et le chef d’orchestre Leonardo Garcia Alarcon. Sans oublier la première mise en scène d’opéra de Thomas Jolly, auteur remarqué d’un Henry VI marathon (Molière 2015) et de Richard III, qu’on a vu caracoler cet été à la télévision dans un rafraîchissant feuilleton sur les 70 ans du Festival d’Avignon.

Lire le portrait : Fagioli le magnifique

Ce 16 septembre, la référence shakespearienne s’imposait à nouveau : « Beaucoup de bruit pour rien. » Poids de l’inexpérience, lourdeur de l’enjeu ? Thomas Jolly n’a livré d’Eliogabalo, empereur romain monté à peine pubère sur le trône, homme à femmes friand de gitons, qu’une version d’un dandysme aseptisé. Certes, la « légende noire » du tyran décadent jeté dans le Tibre après avoir été démembré par sa garde prétorienne n’affecte que peu le livret et moins encore la musique de Cavalli, plutôt encline à célébrer les tourments de l’amour. Eliogabalo s’y révèle moins acteur que prétexte, prédateur en herbe en constat d’échec permanent, incapable de concevoir lui-même ses plans de viols (et de meurtres) qu’ourdissent pour lui son confident et amant, Zotico, et plus encore la perverse Lenia, sa nourrice.

Une direction d’acteurs sans relief

Les beaux costumes stylisés à l’orientale de Gareth Pugh (Héliogabale, prêtre du Soleil, est né en Syrie), les sobres architectures lasers d’Antoine Travers (bien loin de la débauche pop rock annoncée) accompagnent une direction d’acteurs sans relief, où apparaissent parfois quelques jolies idées – les patriciennes derviches du Sénat des femmes, la pelote de hiboux de mauvais augure se défaisant au cours du banquet. Pour le reste, il s’agit de gravir ou de descendre les gradins d’un théâtre de tréteaux imaginé par Thibaut Fack sans que l’once d’une dramaturgie vienne contrarier trois heures d’un souple récitatif traversé d’envolées lyriques, de ritournelles et d’une dizaine de magnifiques lamentos. Folie, démesure, esprit parodique, bouffonnerie ? Inutile de compter sur les chorégraphies minimalistes de Maud Le Pladec où de sympathiques slips blancs faseyent sur les jolis petits culs des danseurs.

Jolly donnerait-il raison sans le vouloir au camp des censeurs vénitiens qui déprogrammèrent Eliogabalo alors même que l’opéra était déjà en répétition, signant la chute du plus grand compositeur d’opéras après Monteverdi ? Eliogabalo a attendu l’orée du XXIe siècle pour connaître sa création à Crema, ville natale de Cavalli (un enregistrement est paru chez Ducale Music). Puis il y a eu la production de 2004 au Théâtre de la monnaie, à Bruxelles, qui valut au très cavallien René Jacobs (déjà défenseur de La Calisto, Xerse, Giasone) et au metteur en scène Vincent Boussard une juste reconnaissance.

Engagement vocal

Est-ce l’effet d’un Palais Garnier trop grand pour l’opéra baroque ? Le bouillonnant Leonardo Garcia Alarcon a paru moins vif, libre et inventif qu’à l’accoutumée, le continuo de sa Cappella Mediterranea marchant parfois sur des œufs. Même constat pour l’Eliogabalo de Franco Fagioli. Le contre-ténor n’a pas semblé complètement à son aise dans ce rôle qui comporte finalement assez peu de ces traits virtuoses où il excelle, de ces élégies qui épanouissent sa musicalité. Face à l’adversité, le puissant Alessandro de Paul Groves a tenu le pari d’une grandeur d’âme résistant à la furia meurtrière de son cousin, de même qu’aux deux amoureuses passionnelles qui lui filaient le train : sa fiancée légitime, Gemmira, et l’entreprenante coquine, Atilia. Si Nadine Sierra impose à la première l’autorité tragique de son timbre cuivré, Mariana Flores prête à la seconde le fringant naturel d’une sensualité libertine. L’émouvant Giuliano de Valer Sabadus en pincera jusqu’au bout pour la belle Eritea, victimaire d’Elin Rombo (qui gagne en souplesse à partir du deuxième acte). Quant aux trois « comiques » – le Zotico de Matthew Newlin, le Nerbulone de Scott Conner et surtout la formidable Lenia d’Emiliano Gonzalez Toro –, ils sauront pallier par l’engagement vocal le manque de caractérisation scénique de leurs personnages.

Il y a quelques mois, une bataille de préséance autour des premiers pas lyriques de Thomas Jolly avait opposé l’Opéra de Paris et l’Opéra-Comique. Espérons que le Fantasio d’Offenbach, second galop d’essai lyrique du Rouennais en février 2017, confirmera cette fois les espérances.

Eliogabalo, de Francesco Cavalli. Avec Thomas Jolly (mise en scène), Chœur de chambre de Namur, Orchestre Cappella Mediterranea, Leonardo Garcia Alarcon (direction). Palais Garnier, Place de l’Opéra, Paris 9e. Tél. : 08-92-89-90-90. Jusqu’au 15 octobre. operadeparis. fr

Lire l’entretien avec Thomas Jolly (septembre 2014) Article réservé à nos abonnés « Shakespeare invite à s’essayer à tout »

Diffusion le 7 octobre sur Culturebox.francetvinfo.fr

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