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Wagner en devenir

Strasbourg
Opéra national du Rhin
05/08/2016 -  et 13*, 17, 19, 22 mai (Strasbourg), 3, 5 juin (Mulhouse) 2016
Richard Wagner : Das Liebesverbot
Robert Bork (Friedrich), Benjamin Hulett (Luzio), Thomas Blondelle (Claudio), Marion Ammann (Isabella), Agnieszka Slawinska (Mariana), Wolfgang Bankl (Brighella), Peter Kirk (Antonio), Jaroslaw Kitala (Angelo), Norman Patzke (Danieli), Hanne Roos (Dorella), Andreas Jaeggi (Pontio Pilato)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Constantin Trinks (direction)
Mariame Clément (mise en scène), Julia Hansen (décors et costumes), Marion Hewlett (lumières), Mathieu Guilhaumon (chorégraphie)


(© Klara Beck)


Péchés de jeunesse, ces Fées, Défense d’aimer et Rienzi qui n’ont jamais eu droit de cité au Festspielhaus de Bayreuth ? De fait Wagner n’avait respectivement que 20, 22 et 26 ans quand il les a écrits, et son style s’y cherche encore. Des partitions assez monstrueuses aussi, où Wagner s’affirme d’emblée comme un musicien de la démesure : trop de longueurs, trop d’orchestre, trop de rôles lourds qui rendent ces titres indistribuables sur une scène dotée de moyens normaux. Et pourtant, à force de nous révéler continuellement un génie en train de chercher sa voie, entre l’opéra romantique allemand, l’opéra comique et le grand opéra à la française, voire l’opera buffa italien, ces premiers essais, même malhabiles peuvent garder aujourd’hui un réel pouvoir de fascination.


Après Les Fées, Wagner souhaite tourner radicalement le dos à l’opéra romantique allemand, genre qu’il qualifie même de dépassé, allant jusqu’à stigmatiser « la maladresse et la pédanterie de l’opéra allemand», les opposant à «l’art de l’écriture vocale et la caractérisation musicales italiens ». Et va suivre immédiatement son ouvrage le plus atypique, cette Défense d’aimer (1834-35), où pourtant, malgré cette apparente crise de germanophobie, les fantômes de Beethoven, Weber et Marschner continuent à passer continuellement, mêlés effectivement d’un peu de Donizetti et de Rossini, mais davantage dans la reprise de certains tics d’écriture que dans une recherche d’italianité véritable. Somme toute, même incertain et emprunté, Wagner avance à un rythme spécifique, et chaque nouveau titre lui permet de consolider ses techniques d’écriture, tant pour l’orchestre que pour les voix.


Faut-il aujourd’hui avoir le courage de faire revisiter ces œuvres d’atelier ? Dans l’absolu la réponse est évidemment oui. Mais la tâche, épouvantablement difficile, est réservée de facto à des maisons dotées de moyens luxueux. En 1983 à Munich, Wolfgang Sawallisch et Jean-Pierre Ponnelle avaient assumé ce défi avec panache et remporté un vif succès avec cette Défense d’aimer, qui passait pourtant à l'époque aux yeux de nombreux wagnériens pour un raté à peu près total. Mais la distribution était dorée sur tranche, la scénographie superbement imagée et colorée, et en fosse Wolfgang Sawallisch avait su trouver le ton exact, à la tête d’un orchestre idéal. Depuis lors on ne s’y est plus guère risqué, à quelques courageuses exceptions près, dont une toute récente production madrilène semble-t-il plutôt bien conduite (Kasper Holten et Ivor Bolton).


On ne peut que féliciter l’Opéra du Rhin de tenter à présent l’aventure. Mais fallait-il vraiment s’y risquer en n’y investissant guère plus de moyens et d’imagination que pour une sympathique opérette de fin d’année ? Mariame Clément a fait ses premières armes ici dans La Belle Hélène, elle y est revenue pour Platée, et elle nous saucissonne à présent La Défense d’aimer avec le même comique distancié, un peu loufoque, un peu faible et lourd aussi. Avec les années le savoir-faire est devenu plus net, l’art de faire bouger les acteurs n’est que rarement à court d’idées, et pourtant ce travail, pour virtuose qu’il paraisse, ne fait toujours pas sens. Enfermer trois heures de spectacle dans une sorte de café viennois envahi de convives, avec des serveuses qui passent et repassent, est une gageure de plus à tenir dans un ouvrage qui n’en demandait vraiment pas tant. On sourit souvent (la multitude de détails de cette vie de café minutieusement croquée, ou encore le défilé carnavalesque final de personnages échappés d’un Bayreuth de cartes postales sépia : Wotan et ses Walkyries, Sachs et Beckmesser, Fasolt et Fafner...) mais l’intrigue se construit mal, voire piétine dans un espace trop contraignant. Même si les Chœurs de l’Opéra du Rhin semblent s’amuser comme des fous il faut quand même assez souvent les geler dans une immobilité maladroite d’«arrêt sur image», pendant que les solistes chantent, faute de pouvoir réussir à leur faire quitter la scène assez rapidement. De surcroît leur entassement conduit les choristes à chanter beaucoup trop fort, par dessus un orchestre lui-même très fourni, ce qui donne à ces longs passages d’excitation chorale, d’une écriture déjà assez lourde en elle-même, une consistance particulièrement indigeste de ciment travaillé à la truelle.


Distribution faible aussi, parce que manifestement on a préféré de jeunes et bons chanteurs/acteurs aux grandes pointures qui auraient été nécessaires pour affronter ces rôles, en général éprouvants parce que mal écrits pour les voix. Si Thomas Blondelle et Benjamin Hulett caractérisent bien leurs personnages et parviennent à peu près à négocier les difficultés de leurs parties, à quelques aigus périlleux près, le Friedrich de Robert Bork paraît terne et poussif (le fort bel air «Ja, glühend wie des Südens Hauch», qui requiert l’élégance d’un Kavalierbariton, s’en trouve ruiné), le Brighella de Wolfgang Bankl est davantage bon comédien que chanteur agréable, et l’Isabella de Marion Ammann paraît en nette méforme, voix à bon potentiel dramatique mais fatiguée et opaque dans l’aigu, la gestion problématique de l’instrument ne laissant dès lors plus guère de place à l’élégance de la ligne de chant. Andreas Jaeggi, Pontio Pilato impayable mais qui aurait gagné à une recherche de caractérisation moins vulgaire, et Hanne Roos, jolie voix de soubrette et physique de vamp en fourreau de strass rose, ont davantage d’allure. Mais de toute la soirée, seule la Mariana d’Agnieszka Slawinska réussit un moment de grâce, la très wébérienne canzonetta «»Welch wunderbar’ Erwarten» de l’acte II.


En fosse on retrouve avec plaisir Constantin Trinks, chef wagnérien confirmé qui parvient à faire sonner l’Orchestre philharmonique de Strasbourg avec beaucoup d’intensité et de panache. Toute castagnettes, tambourin et triangle dehors, l’Ouverture a belle allure, mais ensuite l’orchestre rentre dans le rang, cheville ouvrière parmi d’autres de cette exécution au bulldozer où les difficultés d’intendance prennent trop souvent le pas sur raffinement et musicalité.


Wagner avant Wagner ? Certainement oui, et remercions encore l’Opéra du Rhin d’avoir osé. Mais comme cela, était-ce vraiment la peine ?



Laurent Barthel

 

 

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