Des artistes interprètent l'opéra de Wagner Das Liebesverbot, à l'Opéra national du Rhin à Strasbourg, le 6 mai 2016

Des artistes interprètent l'opéra de Wagner Das Liebesverbot, à l'Opéra national du Rhin à Strasbourg, le 6 mai 2016

afp.com/PATRICK HERTZOG

Légère et ambitieuse à la fois, cette "Défense d'aimer" est l'oeuvre d'un tout jeune Wagner, âgé de seulement 21 ans lorsqu'il en compose les premières notes.

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S'inspirant de la comédie "Mesure pour mesure" de Shakespeare, le jeune homme y met en scène un gouverneur allemand qui suscite l'hostilité de la population de Palerme en voulant interdire le carnaval.

Proche des idées progressistes du Mouvement Jeune Allemagne, Wagner utilise cette trame pour dénoncer le puritanisme bourgeois qui règne chez lui, opposé à une supposée sensualité italienne.

Bien loin des oeuvres imposantes qui feront entrer quelques décennies plus tard le maître de Bayreuth dans la légende, Das Liebesverbot verse dans le comique, "presque le boulevard par moments", souligne Mariame Clément, qui le met en scène à l'Opéra du Rhin.

A travers les quiproquos, les déguisements et même un entartage, le spectateur est invité à suivre les aventures d'une fougueuse religieuse qui fera succomber l'hypocrite gouverneur à ses charmes pour sauver la vie de son frère, accusé de débauche.

"Il y a toujours des oppresseurs, des fanatiques, des tyrans, et il y a toujours des êtres humains qui veulent s'amuser en dépit des lois, de la dictature", souligne Mariame Clément, qui a opté pour une mise en scène qui tend à décontextualiser l'histoire.

Faisant cohabiter une starlette à la robe pailletée, un mousquetaire et des sbires du gouverneur en culottes de peau bavaroises, elle joue des anachronismes pour faire percevoir l'universalité de cette rébellion contre la police des moeurs.

Avec des scènes d'ensemble qui rassemblent par moments 60 personnes sur scène, la représentation prend des airs de grand spectacle populaire et fait parfois rire aux éclats.

La langue du livret est naturelle et fluide, bien différente du style archaïsant, inspirée de la poésie de la fin du Moyen-Age allemand, que Wagner adoptera plus tard dans la Tétralogie.

- Un 'flop' -

Au-delà d'une intrigue peu connue du grand public, l'auditoire est invité à découvrir la musique d'un Wagner qui se cherche encore, puise son inspiration chez Mozart et dans l'opéra italien.

La réception de Das Liebesverbot ne fut pas de nature à l'encourager dans la voie de l'opéra-comique. La première représentation en 1836 fut un véritable "flop", en partie parce que la troupe n'avait pas pu suffisamment répéter. Et la seconde représentation fut annulée pour cause de bagarre en coulisses sur fond d'intrigue amoureuse.

Wagner nourrit ensuite l'espoir de monter son opéra à Paris, mais le théâtre qui s'était montré intéressé fit faillite avant de pouvoir passer à l'acte.

Il n'en fallait pas beaucoup plus pour conférer à Das Liebesverbot une aura d'opéra maudit.

Pourtant, c'est Wagner lui-même qui contribua le plus à le faire tomber dans l'oubli, en excluant ses trois opéras de jeunesse du périmètre des oeuvres pouvant être jouées au festival de Bayreuth.

"A partir des années 1840-1850, Wagner développe un nouveau concept d'opéra, qu'il appelle le drame musical. Ses travaux de jeunesse sont très loin de cet idéal", explique le musicologue Mathieu Schneider, bon connaisseur du maître allemand.

Pourtant, le chercheur voit le "grand Wagner" qui révolutionna l'opéra apparaître en filigrane dans Das Liebesverbot, à travers l'écriture orchestrale très ambitieuse et l'importance des motifs écrits pour l'orchestre et non pour le chant.

Des promesses qui cohabitent avec des maladresses, dues au manque d'expérience de Wagner. "Ce n'est pas toujours très bien écrit pour la voix", s'amuse Mariame Clément, qui reconnaît même que certains passages sont "assez monstrueux à chanter".

La metteuse en scène a aussi fait passer l'opéra de cinq heures à 2H30 pour le rendre plus digeste.

"Das Liebesverbot" est donné à Strasbourg jusqu'au 22 mai, puis les 3 et 5 juin à la Filature à Mulhouse.

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