Florestan dans sa prison intérieure

Claus Guth signe un « Fidelio » hors des sentiers battus. Kaufmann et surtout Pieczonka en vedettes de l'unique opéra de Beethoven.

Nicolas Blanmont, envoyé spécial à Salzbourg
Florestan dans sa prison intérieure
© Salzburger Festspiele / Monika Rittershaus

Freud décrivait le système de l’inconscient comme une grande antichambre, dans laquelle les tendances psychiques se pressent et que jouxte une sorte de petit salon où séjourne la conscience. Partant de cette référence, le metteur en scène Claus Guth et son décorateur Christian Schmidt ont conçu un « Fidelio » sans prison ni chaînes, où Florestan est enfermé dans sa folie intérieure. Un de ces univers symétriques lambrissés chers au grand metteur en scène allemand, avec des personnages en habits XIXe (Rocco en grand bourgeois, Jaquino en clerc, Fernando en académicien et Léonore en corsaire), où tout se déroule autour d’un immense parallélépipède rectangle dont la masse noire tranche avec les murs blanc cassé. Dans ce cadre faussement rassurant, l’aliénation de Florestan se révèle bien pire que dans les geôles traditionnelles, et Léonore ne réussira d’ailleurs pas vraiment à le libérer. Il tremble et se bouche les oreilles quand résonnent les chœurs du final (« Heil sei dem Tag »), et tombera foudroyé avant l’ultime accord.

Relecture radicale

La relecture est radicale. Assurément intelligente, brillante même. Empreinte de sens, jamais gratuite ni provocatrice. D’une formidable beauté visuelle aussi, avec des lumières splendides, un travail magistral sur les ombres et des images qui marquent la mémoire. Et Guth, dont on n’a pas oublié ici de fabuleuses « Noces de Figaro » façon Strindberg, a raison de souligner qu’un festival doit être un lieu de recherches et d’expérimentations sur les œuvres du répertoire. Mais le parti-pris se fait forcément au détriment d’autres dimensions de l’œuvre (à commencer par la lecture politique), et la frange la plus conservatrice du public local (de très loin la plus nombreuse, surtout à 400€ le ticket) n’apprécie que modérément. D’autant que, comme d’autres metteurs en scène avant lui (et même comme Barenboim au disque), Guth a résolu le hiatus délicat entre des dialogues triviaux et une musique sublime en supprimant purement et simplement les premiers.

Mais a été plus loin en leur substituant des bruitages amplifiés – respirations haletantes, vents plaintifs ou musique concrète électro-acoustique – qui rendent plus oppressant encore le climat de l’œuvre. Et qu’il y ajoute une doublure silencieuse de Léonore (qui pratique le langage des signes et participera ainsi au chœur ultime) et un double quasiment chorégraphié de l’infâme Pizarro, vêtements et lunettes noires.

Alors quand, sacrifiant à la tradition établie par Mahler, Franz Welser-Möst interrompt l’action après le duo « O namenlose Freude » pour jouer, rideau fermé, l’ouverture « Léonore III » (une des quatre composée par Beethoven pour son unique opéra !), la salle éclate en applaudissements démesurés, comme pour se dire rassurée. Il faut dire que le Philharmonique de Vienne sonne superbement – hormis quelques couacs répétés côté cors – et que la direction du chef autrichien, avec des tempi lents et amples, lorgne plus vers le style Karajan que vers les lectures historiquement inspirées à la Harnoncourt. Ces quinze minutes sans voix ni théâtre seront plus ovationnées encore que les chanteurs.

Ils méritent pourtant eux aussi leur part de louanges, à commencer par la soprano canadienne Adrianne Pieczonka, Léonore puissante, expressive et toujours juste qui réussit, chose rare, à se rendre crédible en homme. Elle surclasse les autres protagonistes, pourtant excellents, qu’il s’agisse des seconds rôles, distribués à des artistes solides mais peu connus, ou même de la star annoncée de la soirée, Jonas Kaufmann. Le Fidelio du ténor allemand reste un des meilleurs du moment (son « Gott » crescendo qui ouvre le deuxième acte est incomparable) et, même si on l’a déjà entendu mieux projeté qu’ici, on se dit qu’un Kaufmann à 80% de son potentiel reste encore au-dessus de la moyenne des titulaires du rôle…

Salzbourg, Grosses Festspielhaus, encore le 19 aoû. Infos: www.salzburgerfestspiele.at

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