La Donna del Lago au Metropolitan Opera de New York

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Curieusement, c’est la première fois que le Metropolitan met en scène La Dame du Lac, quasiment deux cent ans après avoir accueilli la première de cette création. Il est vrai que cet opéra est rarement programmé, notamment parce qu’il fait appel à des chanteurs d’une rare virtuosité, dotés d’une voix naturellement Rossinienne et suffisamment puissante pour atteindre les moindres recoins d’une salle de concert de 3 800 places. Mais depuis cinq ans, cette œuvre bénéficie d’un regain d’intérêt, grâce à des superstars qui ont intégré deux des arias les plus ardus de cette œuvre à leur programme de récital: Juan Diego Flórez et Joyce DiDonato. Le Metropolitan a réuni ces deux artistes dans une nouvelle production de Paul Curran. Le soir de la première, l’enthousiasme était palpable et l’on pouvait y croiser de nombreux visages familiers du milieu de l’opéra new-yorkais. Le public a applaudi Flórez et DiDonato dès leur apparition sur scène, dans les cinq premières minutes de l’opéra (oui, j’ai bien parlé d’enthousiasme…)

L’histoire se déroule en Ecosse, au 16ème siècle, et met en scène le soulèvement des clans highlandais contre le roi d’Ecosse. Elena (Joyce DiDonato) est secrètement amoureuse de Malcolm (Daniela Barcellona), un soldat highlandais. Son père (Oren Gradus), figure d’autorité parmi les highlanders et anciennement tuteur du roi, l’a promise en mariage à Rodrigo (John Osborn), leur chef principal. Pour compliquer les choses, Uberto (Juan Diego Flórez), le roi d’Ecosse, déguisé en soldat durant la plus grande partie des deux actes, s’éprend d’Elena au début de l’opéra alors qu’il lui rend visite incognito.

Les prestations de Flórez et DiDonato ont été à la hauteur – ce qui est déjà fabuleux – et ont même dépassé les attentes. Joyce DiDonato a été stupéfiante d’un bout à l’autre de la représentation. Elle incarne ce rôle d’une difficulté inouïe avec une facilité déconcertante, déployant des nuances subtiles et un magnifique legato. On sentait que chaque phrase avait été travaillée en profondeur et que l’énergie déployée dans chacune d’elle était soigneusement dosée. Ses duos avec Juan Diego Flórez, au début du premier acte, ont envoûté le public. Flórez a également fait preuve de prouesses fantastiques, s’affirmant une fois de plus comme le meilleur ténor rossinien de sa génération. Sa voix d’une prodigieuse agilité lui permet d’atteindre facilement le registre des aigus, produisant des contre-uts et des contre-rés d’une sonorité et d’une clarté cristalline. Il s’est montré parfaitement à l’aise dans le rôle exigeant d’Uberto. John Osborn, qui incarne Rodrigo, le rival d’Uberto, ne souffre en rien de la comparaison avec Flórez. Le rôle de Rodrigo présente également des difficultés quasiment insurmontables, auxquelles il s’est attaqué avec bravoure. Il semblait cependant moins à l’aise dans le registre suraigu, notamment dans son premier aria (“Eccomi a voi”) et dans l’impressionnant "duel des ténors" (“Qual pena in me già desta"). Son timbre doux et profond contraste avec la voix plus colorée de Flórez. Ces deux voix opposées et magnifiques offrent une symbiose parfaite. Quant à Oren Gradus, il s’est montré quelque peu gêné vocalement et s’est laissé engloutir à plusieurs reprises par l’interprétation énergique de l’orchestre du Metropolitan, conduit par Michele Mariotti.

Rodrigo perd le duel. Uberto le tue et doit se confronter à son ultime rival: Malcolm, interprété par Daniela Barcellona, elle-même spécialiste de son rôle. Mme Barcelonna, qui nous a offert un Malcolm puissant et robuste, s’est également montrée impressionnante. Sa voix pleine a captivé le public, qui s’est contenu jusqu’à la fin de l’air “Ah! si pera: ormai la morte!” avant de saluer sa prestation par un tonnerre d’applaudissements. Enfin, Elena choisit Malcolm, le rude soldat, et non Uberto, le roi riche et élégant. Grâce à la mise en scène, aux costumes et – pour être honnête – à la prestance de Flórez, cette production offre une incarnation idéale du roi Uberto, conforme à l’image que l’on peut s’en faire. Malcolm, loin d’être présenté comme un jeune premier séduisant, est un soldat aussi rustaud et rude que ses compagnons highlandais. Mais comme Elena l’affirme au début du premier acte: elle est une femme simple. Qu’il en soit donc ainsi.

Les nouvelles productions du Metropolitan s’étaient montrées plutôt audacieuses depuis l’arrivée de Peter Gelb. Le public a donc été surpris de découvrir des décors et des costumes très traditionnels et une mise en scène trop statique. Aucune prise de risque sans cette production. Les artistes sont revêtus de costumes d’époque: des kilts et des étoffes à carreaux la plupart du temps. Seul Uberto porte des tenues plus fringantes (cuir ou armure). La conception des décors est assez décevante: deux grands murs noirs entourent la scène de chaque côté et trois grandes arches permettent aux artistes d’entrer et sortir. Malheureusement, ces arches semblent absorber une grande partie des sons émis sur scène. A l’arrière, des images vidéo sont projetées sur un large écran incurvé: un paysage écossais met en scène un lever de soleil au ralenti. L’image projetée était floue le soir de la première — un effet certainement non désiré, mais assez décevant. Par ailleurs, à l’heure où la scénographie lyrique passe peu à peu au numérique, cette vidéo semblait déjà obsolète. L’action se déroule la plupart du temps sur une parcelle de terre inclinée, d’une texture à l’aspect terreux rehaussée de nuances de verts. Cette vaste structure se divise en son milieu pour laisser de l’espace aux différents décors. Au début du premier acte, elle s’ouvre sur le décor de la maison d’Elena, qui émerge des dessous de la scène. Dans la première scène du second acte, elle est jonchée de têtes portées au bout de piques, au moment où Uberto interprète l’aria “Oh fiamma soave”. Ces têtes, qui évoquent vraisemblablement la brutalité de cette horrible guerre civile, créent une atmosphère qui cadre assez mal avec cet aria. Plus tard, les deux parties s’ouvrent sur un rectangle rouge vif représentant les appartements du roi, dont l’esthétique laisse également à désirer. L’écran du fond disparaît enfin vers la fin de la représentation pour laisser place à un trône royal ornementé, seul objet scénographique offrant une touche d’opulence et d’éclat à ce décor assez sombre et volontairement aride. Fort heureusement, les aigus sublimes de Flórez et le merveilleux legato de Joyce DiDonato ont la particularité de rester dans la tête de l’auditeur plusieurs jours après qu’il les aient entendus. 

Thibault Courtois

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