Toute la brutalité chorale de la Russie

Formidable production de la "Khovanchtchina" de Moussorgski à l’Opéra flamand.

Nicolas Blanmont
Toute la brutalité chorale de la Russie

On n’a pas souvent l’occasion de voir "La Khovanchtchina" de Moussorgski sur les scènes mais, dans notre pays, chaque opportunité est un événement. Après une mémorable version donnée à la Monnaie entre 1996 et 2003, la production que propose l’Opéra flamand fera date sans nul doute : elle est tout simplement parfaite musicalement et scéniquement.

Après l’excellente "Elektra" de début de saison, le spectacle est une nouvelle plume à mettre au chapeau de Dmitri Jurowski. Très visiblement à l’aise dans un répertoire qui lui est forcément familier même s’il avait attendu jusqu’ici pour diriger "Khovanchtchina", le chef russe se montre à nouveau souverain d’intelligence dans la conduite dramatique, et de maîtrise dans l’équilibre des masses orchestrales et chorales. L’orchestre de l’Opéra flamand joue à son meilleur niveau, et les chœurs (et chœurs d’enfants) de la maison, parfaitement préparés par Jan Schweiger pour un ouvrage qui reste un défi pour toute maison lyrique, livrent une prestation stupéfiante de netteté et d’intensité. Le choix de la version Chostakovitch se révèle une fois encore le meilleur, et les trois heures de musique s’écoulent sans un moment d’ennui.

C’est aussi que la distribution entendue à la première vendredi soir (il en est deux, en alternance) est exceptionnelle. Julia Gertseva est une Marfa formidable de présence et de puissance, avec un timbre profond qui donne le frisson. Frissons aussi, et puissance abyssale, pour le Dossifeï d’Alexeï Tikhomirov - une incarnation hallucinée qui évoque forcément Chaliapine - mais aussi pour l’impressionnant Chaklovity d’Oleg Bryak. Très belle prestation aussi de la basse croate Ante Jerkunica, déjà remarqué à l’Opéra flamand en Sarastro et en Roi Marke, et idéal ici d’élégance et de morgue dans le rôle d’Ivan Khovanski. Même un cran en dessous, le Golitsyne de Vsevolod Grivnov et l’Andrei de Dmitry Golovnin restent des plus fiables, et chaque rôle secondaire est également pourvu avec soin.

Epure et efficacité

Tous ces solistes se révèlent, il est vrai, acteurs remarquables quand ils sont, comme ici, dirigés de main de maître par David Alden, dont le public de la scène anverso-gantoise n’a pas oublié le formidable "Peter Grimes". Discrètement transposée dans une Russie post-soviétique où dominent le rouge et le noir, la lecture de l’Américain, moderne et explicite mais sans chercher à démontrer ni à choquer, est un modèle d’épure et d’efficacité. Chacun restera libre de se contenter de plaisirs esthétiques (avec en sus de superbes lumières et jeux d’ombres signés Adam Silverman) ou de lire l’œuvre à la lumière de notre monde contemporain. Exploitant chaque recoin de la scène et même de la salle, Alden sait donner sens à chaque geste : chez les chanteurs (Khovanski danse lui-même le ballet des esclaves persanes !), mais aussi chez les figurants (les valets !) et les choristes.

Anvers, les 4, 5, 7 et 8 novembre; Gand, les 26, 28, 29 et 30 novembre et le 2 décembre; www.operaballet.be

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