Lady Macbeth selon Bieito Calixto : estomaquant

Jongen François

Opéra Formidable production du chef-d’œuvre de Chostakovitch. Enfants non admis. Critique Nicolas Blanmont Il est des expériences artistiques dont on sort transformé, convaincu d’avoir assisté à quelque chose d’important. La "Lady Macbeth du district de Mtsensk" qui se donne actuellement à l’Opéra flamand est de celles-là. L’œuvre, évidemment, est une des plus fortes du répertoire, tant le jeune Chostakovitch (il a 28 ans quand l’opéra est créé à Leningrad en 1934) a su y traduire l’ennui et le mal de vivre russe, la violence de la société soviétique, la cruauté du système, mais aussi la puissance irrésistible de l’amour charnel - on parla alors même de "pornophonie" pour décrire certains passages.

Mais, ici, il y a en plus la mise en scène de Calixto Bieito. On l’a déjà vu à Anvers et Gand, que ce soit dans sa "Carmen" ou dans son "Mahagonny" : l’Espagnol est un extraordinaire directeur d’acteurs, mais aussi un provocateur qui a parfois tendance à surcharger la barque. Il est, ici, à son meilleur niveau, parce que le livret et, à défaut, la partition disent déjà les traitements de choc qu’il décrit : viol, masturbation, copulation (ah, ces glissando de cuivres post-coït), brutalité. Le tout dans un univers d’une clarté manichéenne : intérieur blanc quasiment Ikea pour la maison de Katerina et son mari, tubulures métalliques sombres et couche de fange pour le monde extérieur. À cette échelle, le reste - un peu de scatologie et d’anticléricalisme - passe presque inaperçu. Et quand on se dit que Bieito en fait trop et que sa représentation de la violence tourne à la complaisance (la police molestant un homosexuel avant de le marquer au fer rouge), on se souvient de certaines lois récentes de Vladimir Poutine.

Au sommet

Musicalement aussi, Dmitri Jurowski est au sommet de son art. Sa direction éminemment expressive sait, à chaque instant, souligner l’homogénéité de la fosse et la scène ; les interludes orchestraux sont magnifiés comme les meilleures symphonies de Chostakovitch et la spatialisation des cuivres aux quatre coins (?) de la salle produit des effets sonores quasiment jouissifs.

En tête de distribution, on saluera le formidable Boris de John Tomlinson, le Sergei clair et juvénile de Ladislav Elgr et la Katerina hallucinante (scéniquement plus encore que vocalement, car il est de plus grandes voix) d’Ausrine Stundyte. Hormis le Zinovi un peu trop fade de Ludovit Lutha, tous les seconds rôles sont également dignes d’éloges.

Au rideau final, le public se lève, et l’on sent que cette ovation debout est autant catharsis qu’enthousiasme, comme pour conjurer ce climat de violence intense qui, pendant trois heures, a régné dans la salle. C’était du théâtre ! Le réel, ce n’est pas cela, n’est-ce pas ?

Anvers, Opéra flamand, jusqu’au 6 avril. Surtitres nl. De 11 à 100 €. Infos & rés.: www.vlaamseopera.be

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