Aricie la sortie (du frigo)
- Publié le 09-07-2013 à 05h37
Opéra Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Glyndebourne Alors qu’on frise les 30 degrés sur les pelouses de Glyndebourne, c’est dans un frigo géant que Diane et Cupidon s’affrontent pour savoir qui, de la chasteté ou de l’amour charnel, l’emportera. Quatre ans après leur réussite dans "The Fairy Queen", la direction du Festival de Glyndebourne a choisi de réunir à nouveau William Christie et Jonathan Kent pour leur confier, cette fois, "Hippolyte et Aricie", le premier Rameau - et même le premier opéra baroque français - donné ici. Mais si le chef américano-français est un expert reconnu de ce répertoire, le metteur en scène anglais s’y révèle bien moins convaincant que dans Purcell. Et on comprend très vite que l’œuvre ne l’inspire pas vraiment.
Dans le programme du Festival, Kent expose en substance que, plutôt que de tenter l’impossible fidélité à l’esthétique baroque originale, il a choisi de la réinterpréter pour un public d’aujourd’hui. Et que, comme le monde chaste de Diane est pour lui univers de froideur, il a tenté de trouver les lieux correspondants d’aujourd’hui. Un peu court. On s’amuse évidemment de ce frigo géant et très français où les nymphes se cachent entre escargots et cassoulet, où les chasseurs se faufilent hors d’un paquet de saucisses et où Cupidon surgit d’un œuf tel un poussin.
Mais passée la surprise, on cherche vainement le sens, d’autant que la direction d’acteurs est des plus conventionnelles. Suivront une série d’images sans réelle cohérence, et qui vont plus d’une fois contre le texte. Le temple de Diane ? Une chambre froide où l’on saigne des carcasses d’élans, ledit sang étant utilisé ensuite pour badigeonner murs, sols et costumes blancs immaculés des nymphes et d’Aricie. Et pour ceux qui n’auraient pas compris le symbolisme insistant, arrive Phèdre, la rivale, toute vêtue de rouge puisqu’elle a déjà connu l’amour.
Les enfers de l’acte II ont pour cadre l’arrière du frigo, entre crasse accumulée et condensateur, et Pluton y est le Roi des mouches : drôle pendant 30 secondes, contre-productif ensuite. Le palais de Thésée est une sorte de HLM : Hippolyte se réfugie dans sa chambre d’adolescent, tandis que le divertissement est l’œuvre de marins d’opérette (qui riment, ici, avec boule à facettes) évoluant dans une lumière rose. On n’échappe donc pas à la dérision facile, ni au contresens, autre travers classique du Regietheater : puisque le happy end de l’opéra de Rameau était, explique-t-il, une convention d’époque, le metteur en scène choisit d’imposer une fin sombre et tragique. Le royaume de Diane est une morgue et, si les amants se retrouvent, c’est dans une ambiance plombée : juste avant le rideau tombe le corps de Cupidon, pendu aux cintres.
Tromper l’ennui
Dans une soirée plutôt ennuyeuse, le seul moment de grâce et d’intensité aura été, en fin de quatrième acte, la sobre et digne disparition de Phèdre après la mort (apparente) d’Hippolyte. Pour le reste, on tente de tromper l’ennui par la musique. Vêtu comme un armateur (veste de smoking blanche sur pantalon noir, chaussettes rouges et mocassins brillants), William Christie dirige avec plus de volupté que de sens théâtral, mais sa maîtrise est incontestable. Et si l’Orchestre de l’Age des Lumières n’a pas ici la netteté des Arts Florissants, les passages orchestraux sont somptueux. La diction française des chanteurs a été tout particulièrement soignée : on s’y attendait pour les Français (Stéphane Degout, magnifique Thésée, François Lis, tour à tour Jupiter, Pluton et Neptune ou encore Matthias Vidal ou Emmanuelle De Negri), mais c’est une bonne surprise pour les autres (Christiane Karg, magnifique Aricie, Sarah Connolly, Phèdre émouvante, ou Ed Lyon, Hippolyte au physique attirant mais à l’aigu parfois fragile).
Glyndebourne, jusqu’au 18 août. Infos : www.glyndebourne.com.
En streaming le 25 juillet.