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Une production indéfendable, sauvée par les voix féminines

Nice
Théâtre de l’Opéra
02/16/2012 -  et 19, 21, 23* février 2012
Giuseppe Verdi : Il trovatore

Walter Fraccaro (Manrico), Kristin Lewis (Leonora), Dolora Zajick (Azucena), Dimitris Tiliakos (Il conte di Luna), Giorgio Giuseppini (Ferrando), Claudia Cesarano (Ines), Frédéric Diquero (Ruiz)
Chœur de l’Opéra de Nice, Giulio Magnanini (chef du chœur), Orchestre philharmonique de Nice, Fabrizio Ventura (direction musicale)
Lorenzo Mariani (mise en scène), William Orlandi (décors), Silvia Aymonino (costumes), Christian Pinaud (lumières)


(© Dominique Jaussein)


On le sait maintenant, le génie d’Il trovatore réside dans la cohabitation idéale entre un chant d’extraction donizettienne, tout de cantilènes lunaires, extatiques et sublimes, et un héroïsme tonitruant et sonore traduisant les émotions et les espoirs d’un peuple en quête d’une identité nationale. Dans Senso, Visconti avait parfaitement compris les sentiments qu’Il trovatore pouvait éveiller dans les cœurs et les esprits d’une population opprimée, ayant soif de rêve, de révolte et de liberté.


A Nice, Lorenzo Mariani n’a retenu que le rêve... jusqu’à la saturation et l’écœurement. Créée en octobre 2010 au Regio de Parme – et reprise en décembre dernier à La Fenice de Venise pour célébrer les 150 ans de l’unité italienne – la production de Mariani ne convainc toujours pas, malgré le fait qu’il ait largement revu sa copie depuis les représentations parmesanes et vénitiennes. Si une direction d’acteurs – inexistante à Venise – était présente à Nice, la surcharge de guimauve qu’il y a par contre encore ajoutée frise l’indigestion. D‘emblée, le ton est donné avec une Leonora tombant des cintres dans une nacelle digne des Mille et une nuits, enveloppée dans une luxueuse robe de satin blanc et couronnée d’un diadème scintillant de tous ses feux. On ne peut s’empêcher de se demander alors quel ouvrage nous est finalement présenté: se sera-t-on trompé de titre et est-ce donc la Reine de la nuit qui descend ainsi des cieux? Mais non, la musique nous l’assure, c’est bien le chef-d’œuvre de Verdi qui est à l’honneur ce soir à l’Opéra de Nice. La suite alterne entre convention surannée et un sens du mauvais goût et des stéréotypes que l’on croyait renvoyés aux oubliettes depuis longtemps. De même, les décors de William Orlandi semblent suggérer une atmosphère, mais le spectateur comprend vite qu’il s’agit uniquement d’une recherche de l’effet surprenant, sciemment cultivé et par définition gratuit, sans aucune signification dramaturgique à y trouver. Nous espérions, dès lors, que le chant rattraperait le n’importe quoi scénique. Mais là aussi, il faudra déchanter, du moins en ce qui concerne la distribution masculine.


Commençons là où le bât blesse le plus. Depuis plus de dix ans qu’il sévit sur les scènes lyriques du sud de la France (notamment à Marseille), le ténor italien Walter Fraccaro (Manrico) n’a corrigé aucun des défauts qui entachent, sans coup férir, chacune de ses prestations. Ne connaissant que la nuance forte, privilégiant systématiquement l’ampleur du son plutôt que la recherche de la nuance, il nous impose par ailleurs son habituelle émission engorgée, cherche un souffle qui se fait toujours aussi court, et s’avère bien piètre acteur, indifférent qu’il semble décidément être à la caractérisation dramatique de ses personnages. Pour couronner le tout, précisons qu’il a piteusement raté le contre-ut qui conclut le fameux air «Di quella pira». Bref, un triste Manrico!


Nous passerons très vite sur la voix de Giorgio Giuseppini (Ferrando), usée jusqu’à la trame, pour nous pencher sur le cas, plus complexe, de Dimitris Tiliakos (Conte di Luna). Découvert – sans nous avoir pleinement convaincu – lors de sa prise de rôle de Macbeth à la Bastille en avril 2009, le baryton grec endossait un autre des grands rôles verdiens écrits pour sa tessiture. Techniquement solide, beau de timbre, le chanteur ne possède néanmoins pas la souplesse et le legato nécessaires à cet emploi et ne peut donc rendre justice à une partie qui lorgne encore du côté du bel canto.


Du côté féminin, la jeune et belle Kristin Lewis chante Leonora avec des moyens intéressants et une émission qui évoque celle de Michèle Crider. Elle possède un timbre riche et rond, chaud et velouté, mais la voix trahit quelques incertitudes dans les passages de tension. C’est probablement le legato de «D’amor sull’ali rosee» qui convient le mieux à cette voix formée à l’école américaine, particulièrement précise dans le phrasé. Volant la vedette aux deux principaux protagonistes, l’immense Dolora Zajick incarne Azucena, près de trente après sa prise de rôle au Metropolitan de New York. On pouvait donc compter sur le métier de la mezzo américaine pour faire frémir l’auditoire dans un «Stride la vampa» délivré avec ses graves abyssaux. Maîtrisant parfaitement un vibrato docile ce soir, Zajick enchante par la belle ligne de son chant, la richesse du medium, la fulgurance de l’aigu, la vocalisation mordante et, de plus, par son incomparable art de la scène. Elle compose un personnage d’un grand relief, complexe, tourmenté et atteint un paroxysme dramatique dans la scène finale, où elle sombre dans la folie. Hagarde, elle passe avec une confondante aisance d’éclats de rires tonitruants à de chaudes larmes amères: une véritable scène d’anthologie théâtrale.


Bonheur total, également, du côté de la direction orchestrale. La maîtrise technique du chef italien Lorenzo Ventura, la précision de son geste, la plénitude des sonorités qu’il obtient de l’orchestre maison, forcent l’admiration. Mais c’est plus encore sa lecture âpre de la partition de Verdi qui ravit – empreinte d’ardeur et de tension, dramatique et sauvage, haletante et fière – qui respecte parfaitement les codes d’exécution d’une musique où le raffinement mozartien n’a pas sa place!



Emmanuel Andrieu

 

 

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