Quand Cecilia se fait Desdemona
Les apparitions de Cecilia Bartoli sur une scène d’opéra font toujours l’événement : pour l’intensité brûlante de ses interprétations bien sûr, mais aussi pour leur rareté - une ou deux productions par an tout au plus. Alors qu’elle s’apprête à endosser son costume (tailleur ?) de directrice artistique du festival de Pentecôte à Salzbourg (et à y retrouver le rôle de Cléopâtre dans "Giulio Cesare" de Haendel), elle aborde actuellement à Zurich un rôle qu’elle n’avait jamais incarné que par extraits au disque : Desdemona, dans l’"Otello" de Rossini. Un événement d’autant plus important que, sans qu’on sache très bien pourquoi, la diva (non par ses attitudes mais par le caractère exceptionnel de sa voix) n’a pas gratifié l’an dernier ses nombreux admirateurs du rituel disque qu’elle publiait jusqu’ici à rythme biennal. Beaucoup font donc le pèlerinage et ne sont pas déçus.
- Publié le 15-02-2012 à 04h16
Envoyé spécial à Zurich Les apparitions de Cecilia Bartoli sur une scène d’opéra font toujours l’événement : pour l’intensité brûlante de ses interprétations bien sûr, mais aussi pour leur rareté - une ou deux productions par an tout au plus. Alors qu’elle s’apprête à endosser son costume (tailleur ?) de directrice artistique du festival de Pentecôte à Salzbourg (et à y retrouver le rôle de Cléopâtre dans "Giulio Cesare" de Haendel), elle aborde actuellement à Zurich un rôle qu’elle n’avait jamais incarné que par extraits au disque : Desdemona, dans l’"Otello" de Rossini. Un événement d’autant plus important que, sans qu’on sache très bien pourquoi, la diva (non par ses attitudes mais par le caractère exceptionnel de sa voix) n’a pas gratifié l’an dernier ses nombreux admirateurs du rituel disque qu’elle publiait jusqu’ici à rythme biennal. Beaucoup font donc le pèlerinage et ne sont pas déçus.
Bien que basé sur la même pièce de Shakespeare, l’"Otello" de Rossini (Naples, 1816) diffère pas mal de celui de Verdi, postérieur de 70 ans. Par la présence aux côtés de Desdemona d’Elmiro, un père très dominant (castrateur?), mais aussi par la non-acceptation du mariage entre la jeune fille noble et le héros maure. Assez pour justifier le choix des metteurs en scène (le tandem franco-belge Patrice Caurier et Moshe Leiser) qui ont transposé l’action dans les années 60 et ont fait du racisme, plus encore que de la jalousie, le moteur du drame. L’action se déroule en intérieur : salons de réception d’Elmiro, chambre de Desdemona et une sorte de café arabe un peu louche où Otello se protège des regards hostiles, et où il se battra (à queues de billard) avec son rival supposé Rodrigo. Chaque personnage est soigneusement construit, avec notamment Desdemona, jeune fille d’abord timide et amoureuse, presque une midinette écrasée par son père mais qui se libérera peu à peu de son emprise, ou Otello, jeune homme peu sûr de lui et victime de la pression sociale. Une vision forte et cohérente, servie par une direction d’acteurs au cordeau et qui donne, comme rarement, un sens dramatique à la fête vocale de la partition. Preuve que le bel canto peut avoir une pertinence scénique aujourd’hui.
Hormis une tendance à surjouer parfois certaines attitudes, Bartoli est grandiose : une projection qui va croissant mais qui, au final, impressionne (comme si elle s’économisait un peu en début de soirée), et toujours cette aisance dans tous les registres, cette virtuosité confondante et cette capacité à chanter des pianos pleinement audibles. Le reste de la distribution, riche en ténors, est excellente avec notamment John Osborn dans le rôle-titre, Javier Camarena (Rodrigo), Liliana Nikiteanu (Emilia) ou Peter Kalman (Elmiro). La seule déception est dans la fosse, où Muhai Tang (qui fut directeur musical du Philharmonique des Flandres) peine à canaliser les enthousiasmes parfois désordonnés de La Scintilla, l’orchestre d’instruments anciens de l’Opéra de Zurich.
Zurich, Opéra, jusqu’au 6 mars. Infos : www.opernhaus.ch