"Salomé" privée de sensualité
Salomé, perverse ou capricieuse ? Venimeuse ou ludique ? Guy Joosten, qui met en scène à la Monnaie le chef-d’œuvre de Richard Strauss d’après Oscar Wilde, opte chaque fois pour la seconde option. Et on le regrette un peu
- Publié le 26-01-2012 à 04h15
Critique Salomé, perverse ou capricieuse ? Venimeuse ou ludique ? Guy Joosten, qui met en scène à la Monnaie le chef-d’œuvre de Richard Strauss d’après Oscar Wilde, opte chaque fois pour la seconde option. Et on le regrette un peu
Comme toujours chez lui, la conception globale est intelligente et cohérente, même si elle s’éloigne de la vision qu’on attend normalement de l’œuvre.
L’action se déroule aujourd’hui, dans un Orient international qui évoque plus Beyrouth sous les bombes que les fastes de la Galilée antique. Les décors de Martin Zehetgruber - un bunker mitraillé où sont retranchés le mafieux Hérode, sa suite, et sa Cour d’hommes de main courant arme au poing et lunettes noires sur costumes croisés - ont un solide air de déjà-vu. Salomé ne danse pas véritablement pour son beau-père, mais joue brièvement à provoquer les mâles de service avant de révéler à l’assemblée (installée à table comme à la dernière Cène) une vidéo compromettante qu’on imagine tournée par Hérode lorsqu’elle était encore adolescente.
On ne comprend du coup pas très bien pourquoi Hérode, ainsi démasqué, finira par offrir à sa belle-fille la tête de Jokanaan, mais ce contact tant désiré avec les lèvres du prophète s’avérera amer. Entrée soudain dans l’âge adulte, Salomé devient femme. Ce sont des clones de Jokanaan qui viennent, sans doute, exécuter la sentence de mort finale. Noir, et rideau.
Physiquement et scéniquement, on n’est pas entièrement convaincu par le personnage construit par Amanda Echalaz. Comme Nina Stemme (qui avait créé la mise en scène de Joosten au Liceu de Barcelone) et malgré quelques années de moins, cette grande Sud-Africaine (devenue ici blonde comme une Walkyrie) a plus l’air d’une grande bourgeoise un peu schlass en quête de sensations fortes que du monstre ambigu que dénoncera Hérode. Vocalement, son soprano est puissant, avec un aigu charnel et somptueux qui fait forte impression et parfois même merveille dans 95 % du rôle. Les 5 % restant, mezzo voce ou registre médium, gagneraient à être rendus plus audibles.
Echalaz n’est pas aidée, il est vrai, par la direction pachydermique de Carlo Rizzi : rarement on a entendu "Salomé" aussi peu sensuelle que sous la baguette du chef italien. Pas de respirations, pas de clair-obscur, pas de venin, pas d’ambiguïté : tout est en masse, tout est en force, pilotage automatique et volume sonore constant. Dommage, car l’Orchestre de la Monnaie joue bien, et il aurait été possible d’en tirer des couleurs plus subtiles.
Dans la première distribution, on admire encore l’Herodias puissante de Doris Soffel et l’Hérode veule à souhait de l’inusable Chris Merritt. A l’affiche chaque soir, Scott Hendricks (Jokanaan), malade, n’a pu donner mardi la pleine mesure de son talent, mais sa présence scénique est indéniable. Gordon Gietz (Narraboth) et Susanne Kreusch (Page remarquable) complètent un très beau plateau.
La Monnaie, jusqu’au 11 février Une seconde distribution, avec Nicola Beller Carbone en Salomé et un couple impérial formé de Gerhard Siegel et Hedwig Fassbender, alternera dès ce soir.www.lamonnaie.be