Mesures sanitaires en Belgique : la colère des directeurs de salles

- Publié le 3 décembre 2021 à 20:23
Peter De Caluwe
Plusieurs directeurs de salles et d’institutions culturelles s’insurgent contre une décision qui « ne respecte en rien la réalité » et appellent les décideurs politiques à revoir leur copie, prônant une approche au cas par cas.

« C’est inacceptable. » Le directeur du Théâtre de La Monnaie, à Bruxelles, ne mâche pas ses mots. Il dénonce les nouvelles mesures contre le Covid-19 qui doivent s’appliquer en Belgique à partir de lundi comme « totalement injustes » et indique au média De Standaart n’être pas convaincu que le secteur culturel soit obligé de fermer ses portes. « Même s’il n’y a pas d’infections dans le secteur culturel, nous sommes les premiers à être sanctionnés, alors que pour la restauration, rien ne change. » Même sentiment d’incompréhension chez Daniel Weissmann, directeur général de l’Orchestre philharmonique de Liège : « Tout cela en laissant l’Horeca [tellerie, restauration, cafés] ouvert, on ne comprend plus. » En effet, les restaurants et cafés sont autorisés à rester ouverts jusqu’à 23 heures, alors qu’une jauge très restreinte s’applique à tous les lieux de culture et de loisir recevant du public : pas plus de 200 personnes, avec masque et « Covid Safe Ticket », l’équivalent du passe sanitaire français.

Une (nouvelle) tribune cosignée par Peter de Caluwe, Sophie Lauwers (Directrice générale de Bozar), Hans Waege (Intendant de l’Orchestre national de Belgique), Pierre Thys (Directeur général et artistique du Théâtre national Wallonie-Bruxelles) et Michael De Cock (Directeur artistique du Koninklijke Vlaamse Schouwburg) réclame une « justification détaillée » de ces choix, « justification [qui] doit être formulée par rapport aux connaissances, à la recherche et aux preuves empiriques. » Les acteurs du monde de la culture accusent une « décision politique qui ne respecte en rien la réalité » ; car même en comprenant « la gravité de la situation », ils ont « le sentiment d’être sacrifiés pour permettre à d’autres secteurs de rester ouverts. ».

« Cette mesure ne doit pas être respectée »

Face à des décisions prises sans concertation, les directeurs de salles rappellent : « Au cours des derniers 18 mois, un grand nombre de centres culturels professionnels ont élaboré des scénarios détaillés et mûrement réfléchis, ont consenti à des investissements considérables et ont dispensé diverses formations aux membres de leur personnel. Pour autant, ce travail titanesque ne semble avoir fait l’objet que de très peu de considération. »

Peter de Caluwe va plus loin : « Je fais valoir », a-t-il déclaré, « que cette mesure ne doit pas être respectée. Nous devons faire une analyse individuelle des bâtiments comme des écoles et prendre des mesures uniquement s’il y a un problème de contamination. » Dans les écoles, en effet, le gouvernement impose désormais d’utiliser un appareil de mesure CO2 dans chaque classe et local où se réunissent de nombreuses personnes.

De la qualité de l’air

Et à ce sujet, le directeur de la grande maison bruxelloise est très clair : « Nous avons testé la qualité de l’air pendant notre opéra, que nous avons joué devant des salles combles le mois dernier. Les compteurs ne sont jamais allés au-dessus de 800 ppm, alors que nous pouvons aller jusqu’à 1200 ppm. » Cette mesure de la quantité de CO2 permet d’évaluer le renouvellement de l’air. À titre de comparaison, France Info signalait qu’aux heures de pointes dans le métro, les valeurs étaient « systématiquement » supérieures à 1000 ppm et atteignaient même jusqu’à 1500 ppm ; la même source précise que dans une salle de cinéma, il n’est pas rare, là aussi, d’observer une valeur supérieure à 1000 ppm. En somme, des valeurs strictement inférieures à 800 ppm constituent plutôt un bon score. Sur ce point, De Caluwe conclut : « L’air dans notre bâtiment est plus pur que celui des rues de Bruxelles où le marché de Noël est encore autorisé. » Et la tribune collective de résumer : « L’utilisation obligatoire de masques, le contrôle du CST et, surtout, une bonne qualité d’air, garantissent une sécurité absolue dans nos salles. »

« Pas de jauge à 200 »

Quant à se plier à la jauge de 200 personnes, c’est, selon le directeur de La Monnaie, « totalement impossible » : « Soit nous jouons devant une salle comble, avec la certitude que c’est sûr », déclarait-il à De Standaart, « soit nous ne jouons pas. » Et d’enfoncer le clou auprès du journal Le Soir : « Pas de jauge à 200. » Même son de cloche à l’Orchestre philharmonique de Liège : « Nous, on ferme », lance son directeur, Daniel Weissmann, à la RTBF. « J’ai plus de 4000 personnes qui avaient réservé d’ici Noël, pour des concerts grand public. Je vais être obligé de tout annuler. Je ne vais pas faire un tri de 75% du public, c’est impossible. » Une annulation qui coûtera cher  : « De grandes salles comme les nôtres, avec des salariés, on est puni deux fois. On continue à payer mais on ne peut plus jouer. […] On a près de 130 salariés… » De fait, la tribune déjà évoquée précise qu’une telle mesure est « économiquement irréalisable après une année de perte de revenu continue ».

Mais tout n’est peut-être pas encore perdu. La tribune déjà citée espère se faire entendre du monde politique pour préconiser « une approche individuelle du problème », une évaluation au cas par cas. « Appliquer une jauge maximale n’a pas de sens, car chaque salle est différente et la somme de 200 personnes représente dans certaines maisons la moitié de la capacité totale et dans d’autres un sixième. » In fine, Peter de Caluwe veut se montrer optimiste et croire « que le bon sens sera pris en compte et que nos voix seront entendues. » Puisse l’avenir (proche) lui donner raison.

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